Interview La maison des maternelles

Interview lors de l’émission La maison des maternelles sur France 2.
A l’occasion de la sortie du livre de Laëtitia Payen : Mon enfant cyclone, le tabou des enfants bipolaires aux éditions Flammarion.

Co-écrit avec Catherine Siguret.

« Se retrouver démuni face à un enfant ingérable qu’on ne comprend plus et qu’on ne se sent parfois même plus capable d’aimer, c’est le lot des parents dont l’enfant souffre d’un trouble de l’humeur. Laëtitia vient évoquer ce sujet si tabou ce matin. Elle est la maman d’Atsuki (15 ans), et de Stanislas (13 ans). Elle a vécu l’enfer avant que l’on ne diagnostique à son fils une bipolarité juvénile à l’âge de 5 ans. Grâce à une prise en charge précoce, il va bien aujourd’hui. Elle est depuis devenue présidente de l’association Bicycle qui soutient les familles dans les troubles de l’humeur des enfants et des adolescents. Elle est aussi l’auteure du livre Mon enfant cyclone qui raconte son parcours et sort aujourd’hui chez Flammarion.

Caline Majdalani est psychologue clinicienne au   à Paris, spécialisée dans la prise en charge de la cyclothymie chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte. Elle a co-écrit les livres « Cyclothymie – Troubles bipolaires des enfants et adolescents au quotidien » et « J’apprends à gérer ma cyclothymie » aux Éditions Josette Lyon. Elle répond aux questions des internautes sur ce thème. »

Les droits d’auteur de Laëtitia Payen seront reversés à l’association.

Retrouvez l'interview en vidéo ici :

L’article de la rédaction de La Maison des Maternelles :

Laëtitia vit un quotidien difficile avec son fils Stanislas : crises volcaniques, hypersensorialité, TOC, violence physique et verbale… À ses 5 ans, un psychiatre pose enfin un diagnostic sur ses maux : il souffre de cyclothymie ou bipolarité juvénile.

Un quotidien insoutenable

Dès tout petit, Stanislas est un enfant agité, difficile. Ses parents mettent d’abord cela sur ses problèmes de santé : il a été hospitalisé plusieurs fois. Mais après ses 2 ans, les crises continuent : des colères explosives de plus d’une heure, plusieurs fois par jour. Chaque geste du quotidien est un combat : prendre le bain, mettre son manteau… Laëtitia et son conjoint l’éduquent pourtant comme sa grande sœur, Atsuki, qui n’a jamais posé problème.

Peu à peu, d’autres symptômes s’ajoutent au tableau : Stan a des TOC, des manies étranges. Il est aussi beaucoup plus sensible aux odeurs, aux bruits, et à la chaleur que les autres enfants. Plus il grandit, plus les crises s’amplifient :

« Il se transformait physiquement pendant les crises : ses yeux tournaient, sa voix devenait rauque. Il y a eu beaucoup de violence physique et verbale. À l’époque j’étais couverte de bleus car j’essayais de le contenir pendant les crises pour qu’il ne se blesse pas et ne casse pas tout autour ! »

Stanislas passe d’un état émotionnel à l’autre extrêmement vite : il peut avoir de grands élans affectifs envers ses parents après une crise, ce qui les déstabilise d’autant plus. Ils consultent des professionnels, mais aucune piste n’aboutit réellement : on leur parle de précocité, de TDAH, de suspicion d’autisme… D’abord démunis de ne pouvoir aider un enfant qui semble lui aussi en grande souffrance, ces parents – à bout – commencent à atteindre leurs limites :

« À un moment donné, on est tellement épuisé qu’on bascule… On finit par ne plus aimer son enfant, et c’est ça qui est le plus difficile. »

La découverte de la bipolarité juvénile

Aux 5 ans de Stanislas, Laëtitia découvre par hasard l’association Bicycle qui soutient les familles dans les troubles de l’humeur des enfants et des adolescents. Alors qu’elle ignorait son existence, elle apprend que la bipolarité juvénile existe : elle n’a juste pas les mêmes manifestations que la bipolarité chez l’adulte. Elle reconnaît tout de son fils dans les témoignages, c’est une révélation. Peu de temps après, un événement violent la pousse à passer le pas et à consulter :

« On rentrait de la garderie, il a vu une voiture arriver sur la route et il a voulu se jeter dessous. La voiture a pilé. Sur le coup ça semblait être une impulsion, mais en reparlant après avec lui en fait il voulait mettre fin à ses jours, il nous disait : « Vous seriez mieux sans moi ». Ça m’a fait un électrochoc. »

En février 2015, Laëtitia obtient enfin un rendez-vous au CTAH (Centre des Troubles Anxieux et de l’Humeur) à Paris : la famille y rencontre une psychologue et un psychiatre qui n’ont aucun doute sur le diagnostic de Stanislas et confirment les intuitions de sa maman.

Retrouver l’équilibre

Suite à ces rendez-vous, un antiépileptique (qui peut également jouer le rôle de régulateur de l’humeur) est prescrit à faible dose pour Stanislas. Le début de la médication est un cap difficile à passer pour Laëtitia :

« Il y a les remarques extérieures genre : « Tu drogues ton enfant » et c’est très dur même pour soi d’accoler le nom de son fils de 5 ans avec le mot psychiatrie. Aucun parent n’a envie de psychiatriser son enfant. Et puis donner un médicament c’est aussi vraiment admettre que l’amour ne suffit pas. »

Deux ou trois mois après le début du traitement, Laëtitia repère néanmoins des changements flagrants dans l’attitude de son fils. Elle nous raconte ce moment de bascule le jour où toute la famille refuse une aide à Stanislas pour un jeu :

« Je m’attends à une explosion… mais non, il file dans sa chambre et pleure. Je l’ai alors rejoint, je lui ai dit : « C’est extra ! Tu as pleuré, c’est génial ! ». Surpris d’abord, il a ensuite compris et il a dit : « Oui, j’ai choisi la bonne émotion ». Avant ça, je ne le voyais JAMAIS pleurer, là il a eu des larmes d’enfant. »

Les années ont passé, Stanislas a aujourd’hui 13 ans et les violences à la maison ont totalement disparu. Toujours sous traitement léger et suivi en psychothérapie tous les mois, il a pu rester dans le système scolaire classique avec un PAP (Plan d’Accompagnement Personnalisé) pour troubles DYS, a un groupe d’amis, une bonne moyenne… Bref, il va bien et pourra envisager un arrêt du traitement à l’âge adulte.

Laëtitia est désormais présidente de l’association Bicycle et publie le livre Mon enfant cyclone aux éditions Flammarion, qui détaille l’intégralité de son parcours.

Mon enfant cyclone, le tabou des enfants bipolaire

TDAH résistant et liens avec la bipolarité

A l’association il est fréquent que nous soyons sollicités par des parents dont l’enfant a reçu un diagnostic de TDAH sévère ou atypique ou +++ et pour lequel la prise en charge classique ne fonctionne pas voire même aggrave les symptômes en particulier ceux concernant la labilité émotionnelle, l’anxiété et les idées dépressives. 

On regroupe désormais ces TDAH dans la littérature scientifique sous le terme de TDAH résistant.

Chaque année depuis 20 ans se tient le Congrès de l’Encéphale, inspiré par la revue l’Encéphale créée en 1906. Il est devenu le rendez-vous de la psychiatrie francophone, réunissant chaque année plus de 4 000 psychiatres au Palais des Congrès à Paris.

Cette année il s’est intéressé aux TDAH résistant.

Objectifs : Connaitre les caractéristiques cliniques et les traitements des TDAH résistants.

Au cours de ce symposium ont été  discutés la clinique et le traitement des TDAH résistants. Il a montré en quoi les approches chez l’enfant et chez l’adulte sont à la fois comparables et différentes.

Le TDAH souffre du problème inverse de la bipolarité juvénile.

Le TDAH est considéré comme un trouble de l’enfance et la bipolarité, à l’inverse est considéré comme un trouble de l’âge adulte. 

Pédopsychiatres et psychiatres ne sont  pas toujours du même avis, le psychiatre a l’avantage d’avoir du recul sur l’évolution de son patient.

Nous retenons qu’en cas de TDAH résistant et de mauvaise réponse au methylphenidate, 2 pistes sont absolument à explorer :

• 1 ➡️ ce n’est pas un TDAH. Il faut donc penser à corriger le diagnostic si nécessaire. 

• 2 ➡️ un autre trouble est associé au TDAH. Il faut donc rechercher les comorbidités et les prendre en charge. Cela signifie que le TDAH seul n’est pas la cause de l’ensemble des symptômes. Parmi ces troubles associés figurent les troubles des apprentissages, le TSA (Trouble du Spectre de l’Autisme), les troubles anxieux, le TOP/TC (Trouble Oppositionnel avec Provocation/Trouble des Conduites) la dépression et le trouble bipolaire !

Le Dr Cédric Galéra va plus loin concernant les stratégies médicamenteuses chez l’enfant souffrant de TDAH résistant. Il différencie les comorbidités peu sévères et les comorbidités plus sévères. Selon lui les comorbidités plus sévères doivent être traitées en priorité même si parfois une combinaison médicamenteuse avec le methylphenidate est possible. Il classe le trouble bipolaire dans les comorbidités dites plus sévères.  En cas de trouble bipolaire en particulier, il préconise de traiter en premier le trouble bipolaire (lithium et antipsychotiques de 2ème génération). 

Rappelons que selon les critères du  DSM 5 qui est souvent pris en référence par de nombreux médecins pour poser un diagnostic de TDAH, les symptômes du TDAH ne doivent pas être « mieux expliqués par un autre trouble mental (trouble thymique, trouble anxieux, trouble dissociatif, trouble de la personnalité, intoxication par une prise de substance ou son arrêt) »

Enfin le Dr Nathalie Franc dans les stratégies non pharmacologiques chez les enfants souffrant de TDAH résistant évoque les différents types de guidances parentales :

⁃ La méthode Barkley : cette méthode vise à obtenir un changement de comportement de l’enfant

⁃ La RNV (Résistance Non Violente) : cette méthode vise à obtenir un changement de comportement du parent

D’après notre savoir experientiel, même s’il y a des idées intéressantes dans ces 2 méthodes, aucune n’est totalement satisfaisante concernant nos cyclokids.

Nos ateliers Tandem, atelier de guidance parentale, mis en place par l’association depuis 4 ans, visent eux à modifier le comportement de l’enfant et du parent en faisant équipe ! 

En effet, nous avons constaté qu’à force de crises ou à cause de vivre dans l’angoisse de la prochaine crise c’est le lien affectif qui est le plus abimé quand il n’est pas complètement brisé et qui rend tout changement impossible.

Or c’est ce lien qui permet un bon développement et une bonne santé mentale de l’enfant. Mais le sujet est tout aussi tabou que les troubles psychiatriques de l’enfant : impossible pour un parent de ne plus aimer son enfant, le penser est déjà très compliqué et le dire est inimaginable ! Et pourtant ! 

C’est la première chose que nous faisons lors de nos ateliers : apprendre aux parents et aux enfants à parler la même langue ! Celle des émotions ! ( ne pas s’arrêter au comportement, chercher l’émotion derrière une crise,…). On peut alors commencer à réapprendre à s’aimer pour pouvoir agir ensemble contre (ou avec) la maladie et non plus l’un contre l’autre. 

Même si sur le papier ce symposium est très positif pour la prise en charge de nos enfants reste encore le gros chantier de faire évoluer les critères diagnostic du trouble bipolaire pour les plus jeunes mais aussi celui d’une meilleure connaissance du spectre des troubles bipolaires et en particulier de la cyclothymie au risque de voir nos enfants traités pour dépression et mis sous anti-dépresseur associé ou non au methylphenidate ! 

(Rappel : un antidépresseur ne doit pas être prescrit seul à une personne souffrant de troubles les bipolaires sans protection par un thymorégulateur car il risque  d’entraîner un virage de l’humeur).

Aujourd’hui sont considérés comme souffrant de troubles bipolaires uniquement les enfants présentant une bipolarité « caractérisée » c’est-à-dire ayant fait une crise maniaque typique. 

Le Dr Masson, invité de l’émission « Grand bien vous fasse » avait évoqué sur l’antenne de France Inter en 2018 cette approche unique en la présentant comme un « diagnostic de novice ». 

Il constate qu’en effet un état d’excitation est plus facile à repérer car quand il y a une phase d’excitation typique on fait évidemment le diagnostic beaucoup plus facilement. Et une crise maniaque est tellement typique qu’on ne passe pas à côté du diagnostic à ce moment là. Le risque est alors qu’entre l’émergence des premiers symptômes qui peuvent apparaître chez les jeunes sous forme de troubles du sommeil, ou du trouble du contrôle des émotions, d’une réactivité un peu trop forte jusqu’à une première dépression qui va inaugurer la maladie dans 60% des cas et le diagnostic et la prise en charge il peut s’écouler 8 à 9 ans ! 

Une chose est certaine : le TDAH résistant doit faire réévaluer le diagnostic et/ou la prise en charge ! 

Pour aller plus loin ⬇️

Merci à l’association HyperSuper pour le partage des PowerPoint des intervenants des différentes conférences à consulter juste ici :

En tandem avec les Biclous lâchés lousses à travers le monde ! 

Un beau matin de décembre, la famille des « Biclous lâchés lousses » nous a fait l’agréable surprise de nous écrire. Enfourchés sur leurs vélos, ils nous ont proposés un tandem. 

Leur nom est un mélange de deux régionalismes de la langue française. « Biclou » est un mot familier en France pour bicyclette et « lâché lousse » veut dire en québécois « en toute liberté ». Ce nom les représente, une famille biculturelle, passionnée de voyage à vélo, avec un profond désir de liberté qui dépasse celui du confort et de la sécurité financière.

Leur devise est « s’épanouir et grandir, sans feu ni lieu », c’est-à-dire utiliser la vie nomade pour se développer, s’ouvrir, apprendre à vivre pleinement l’instant et développer sa résilience. C’est le cadeau qu’ils veulent faire à leurs enfants, pour qu’ils soient maîtres de leur vie et de leur bonheur. C’est le cadeau qu’ils se font, eux les parents, parce que la vie est (très) courte.Une visio entre Herblay, Montpellier et la Floride a fini de nous convaincre que nous parlions la même langue : adaptabilité, équipe, famille, enfant, lien affectif, empathie, gestion des émotions, santé mentale. Ils voulaient faire voyager Bicycle avec eux et sensibiliser à la bipolarité de l’enfant à travers le monde et même aller plus loin en récoltant des fonds. C’était le début de notre aventure avec eux.

Chez Bicycle en plus du vélo sur lequel il faut continuer à avancer pour garder l’équilibre, nous avons un autre symbole fort : le banc ! Dans notre groupe de parole dédié aux parents sur Facebook quand un parent à besoin de se poser mais aussi de recevoir du réconfort des autres membres du groupe, on a pour habitude de poster un banc. 

C’est le signal qui fait que nous nous mobilisons tous virtuellement autour de lui, on peut même lui apporter quelques douceurs virtuels comme quelques chocolats, une délicieuse pâtisserie ou encore une boisson réconfortante. Quoi de mieux alors que de photographier les bancs à travers le monde pour appeler à se mobiliser autour de notre association et vous amener à participer à cette belle campagne de crowdfunding ! Son but : développer nos ateliers Tandem partout en France ! 

POUR SOUTENIR LA CAMPAGNE DE CROWDFUNDING C’EST PAR LÀ :

On leur passe le clavier pour les présentations : 

Nous sommes une « famille certifiée ordinaire » en voyage de 2 ans à vélo autour du monde depuis juin 2021. Nous voyageons en toute autonomie. Nos deux filles ont 9 et 11 ans, elles ont leur propre vélo et portent leurs bagages.

Nous souhaitons inspirer d’autres familles ordinaires à franchir le pas (si nous pouvons le faire, vous le pouvez !).

Nous souhaitons développer l’adaptabilité de nos deux filles et renforcer leur santé mentale, afin qu’elles puissent construire la vie de leurs rêves à l’âge adulte.

Le type de voyage que nous faisons et la santé mentale sont deux sujets intimement liés. Certains partent à l’aventure à la suite d’une dépression pour se retrouver et en sortir. S’ils ne se trouvent pas toujours, ils y trouvent les outils, les stratégies et l’énergie pour en sortir à leur retour. Certains se trouvent et ne reviennent jamais à leur vie d’avant…

Développer l’adaptabilité de nos enfants est d’autant plus important qu’il leur enseigne à faire face à de difficiles épreuves. Ils auront la résilience et la discipline mentale pour lutter efficacement. Apprendre ces habiletés pendant qu’on lutte est une immense montagne à grimper. Nous espérons qu’en ayant appris cela avant, elles seront mieux armées.

Il s’est avéré que de nombreuses personnes ont souhaité nous soutenir en nous donnant de l’argent, argent que nous avons refusé de prendre car nous sommes les chanceux dans l’histoire et d’autres personnes sont beaucoup plus dans le besoin.

Ainsi, nous avons ajouté un but à notre aventure et avons ouvert des collectes de fonds pour des causes que nous chérissons. Bicycle fait partie de celle-ci.

Plusieurs membres de notre famille souffrent de dépression, d’anxiété et de bipolarité. Nous sommes les témoins de première ligne de leur combat, de leurs souffrances et des immenses défis auxquels ils sont confrontés. Nous, leurs proches, nous sentons impuissants à les aider, mais nous continuons d’essayer autant que nous le pouvons. 

Nous croyons que plus on intervient précocement auprès des personnes souffrant de troubles mentaux, meilleure est leur chance d’avoir une vie normale et d’accomplir leurs rêves. C’est ce que fait l’Association Bicycle en s’y attaquant dès l’enfance auprès des enfants atteints de cyclothymie (« bipolarité juvénile »). Leur mission nous touche donc particulièrement! 

Joignez-vous à nous et soutenons cette association formidable!

Pour découvrir les autres projets et suivre les aventures des Biclous c’est par ici :

Les Biclous soutiennent 3 autres causes autour de la Sante mentale : 

Relief (Canada)

Whole Village Art Therapy, Inc, (New Orleans, Louisiana, USA)

Cycling for Society (Germany and the world, currently in Turkey)

Le TDAH non traité chez l’enfant ne se « transforme » pas en bipolarité !

Auteur : Dr Elie Hantouche /CTAH

Psychiatre, conseiller scientifique, expert des troubles anxieux et bipolaires, secrétaire du forum européen bipolaire. 
Photo : © Jean-François Deroubaix pour Association Bicycle

Depuis quelques temps, se répand largement l’idée suivante : « un TDAH non pris en charge chez l’enfant comporte des risques de se transformer en bipolarité chez l’adulte ; conclusion : pour éviter la bipolarité, traitons le TDAH ».
Cette idée mérite une meilleure exploration des arguments sous-jacents et surtout une explication des erreurs de leurs interprétations. Allons voir ce que disent les études et comment peut-on tomber dans les pièges de fausses conclusions, comme la transformation d’un TDAH précoce en bipolarité chez l’adulte ou la prévention de celle-ci en traitant assez tôt le TDAH.

 

Bipolarité juvénile et TDAH (1) 

 « En lisant votre livre, j’ai pensé à notre fils, 16 ans, qui a été traité pendant plusieurs années pour son hyperactivité avec déficit d’attention. La Ritaline® a permis de calmer beaucoup de choses, jusqu’à l’âge de 14 ans ou petit à petit le traitement a été arrêté. Mais les profs continuent à se plaindre de son manque d’attention, manque de rigueur, manque de soin, manque d’organisation, dispersion, écriture illisible. Cependant il n’y a plus d’hyperactivité corporelle comme auparavant. Face à cet état, un expert propose de prendre du Concerta. Mais cela lui coupait l’appétit et lui provoquait des céphalées avec le sentiment d’être sonné, et parfois des hallucinations. Depuis peu le psychiatre lui a dit de l’arrêter et c’est un retour à la Ritaline®. Cependant, après votre lecture, je me suis posée la question : serait-il Bipolaire ?

En effet, il est hyper sensible, émotif, plein d’idées dans la tête. Cependant il a un comportement «normal», pas maniaque. Il est en première scientifique et veut être infographiste. Il n’aime pas la violence, les moqueries, le côté ordurier des garçons. De plus il a vécu des choses tellement dures avec son père durant les phases maniaques (violences physiques et verbales). Le père est traité pour un trouble bipolaire, récemment stabilisé. Vu le terrain familial pensez-vous qu’il faille s’orienter vers un traitement régulateur de l’humeur ? »

Selon certains experts, 70 à 90% des BPJ souffriraient également d’un TDAH comorbide (Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité). En fait, ils présentent les critères sémiologiques du TDAH mais pas nécessairement un double trouble. Il semble ainsi que le TDAH doit être considéré comme une partie intégrante de la BPJ. Toutefois, on dispose de quelques éléments pour faire la distinction entre BPJ et TDAH (tableau). En cas de comorbidité entre BPJ et TDAH, le traitement doit viser en premier la BPJ puis le TDAH (en raison d’un risque d’aggravation induit par l’usage des stimulants).

La question d’une possible relation entre le syndrome trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et la maladie bipolaire est de plus en plus soulevée par les chercheurs et les cliniciens. La prévalence du TDAH est de 5 à 9 % en population d’âge scolaire alors que celle du trouble bipolaire « typique » est de 0,3 % en population juvénile. Ce chiffre est assez loin de la réalité clinique quand on tient compte des présentations particulières de la BP juvénile, notamment les formes cyclothymiques.

L’association des deux troubles est donc difficile à évaluer, d’autant qu’il existe une superposition d’un grand nombre de symptômes dans les deux tableaux cliniques. Le parcours évolutif de l’enfant hyperactif est plutôt continu, en revanche le parcours observé chez l’adolescent bipolaire est plus volontiers épisodique et discontinu. Mais cette marque de distinction est seulement visible dans la forme BP typique !

Bipolarité chez l’adulte et antécédents de TDAH

Une étude réalisée par le département de psychiatrie au CHU de Montpellier (2)  a soulevé la question concernant la signification des symptômes de TDAH dans l’enfance chez des dépressifs adultes. L’étude a porté sur un échantillon de 3963 dépressifs avec une évaluation des symptômes dépressifs actuels et des symptômes bipolaires et TDAH sur la vie entière. Les résultats montrent que le groupe dépressif avec des symptômes significatifs de TDAH dans l’enfance est différent du groupe sans ces symptômes. En effet, le premier groupe se distingue par une fréquence plus élevée de symptômes bipolaires (manie / hypomanie) et d’une histoire familiale de trouble bipolaire type I ou II plus importante. Une lecture rapide de ce résultat laisse penser que le TDAH est susceptible d’évoluer vers la bipolarité à l’âge adulte ! Une autre explication plus logique et plausible : l’histoire familiale bipolaire peut agir d’une manière directe (survenue de bipolarité) ou indirecte (à travers des signes précoces de TDAH, comme voie d’entrée de la bipolarité). Cette interprétation paraît importante dans la pratique car elle évoque un moyen de dépister la bipolarité chez les dépressifs adultes avec des antécédents de troubles attentionnels dans l’enfance. L’enjeu est toujours d’actualité : plein de patients adultes souffrant de bipolarité sont traités pendant des années par des antidépresseurs.

Par ailleurs, on peut aller plus loin et stipuler que la bipolarité serait déjà présente dès le début des manifestations du TDAH. Dans ce cas, tous les jeunes ayant reçu ce diagnostic doivent être systématiquement dépistés pour une bipolarité sous-jacente ou associée. Ca serait vraiment dommage d’attendre la survenue des dépressions à l’âge adulte pour repérer la bipolarité !!

Une autre étude (3) est régulièrement citée pour argumenter la transformation du TDAH juvénile vers la bipolarité. L’étude concernait une cohorte de 2,5 millions de personnes nées au Danemark 1991-95 et suivis à partir de l’âge de 16 ans, ou entre janvier 1995 et la première prise de contact médical pour trouble bipolaire, ou jusqu’à décembre 2012. Ainsi les auteurs ont pu calculer l’incidence de la bipolarité (« incidence » = survenue de nouveaux cas, ce qui est différent de la « prévalence ») et les effets des diagnostics antérieurs de TDAH et de troubles anxieux (TA) sur le risque de développer une bipolarité. L’incidence de BP chez les personnes sans diagnostic antérieur de TDAH ou TA est de 2,17 /10 000 personnes-années. L’incidence grimpe à 23,86 chez les personnes avec TDAH seul, à 26,05 chez les personnes avec TA seul et à 66,16 chez ceux ayant les deux diagnostics « TDAH + TA ». Ainsi la présence combinée des 2 troubles augmente le risque de BP par 30 fois !! Là aussi, certains experts peuvent hâtivement suggérer que la prise en charge du TDAH dès l’enfance pourrait permettre d’éviter de développer des comorbidités à l’âge adulte, comme la comorbidité bipolaire. Cela dit, les auteurs indiquent dès l’introduction de l’article que le vrai rationnel était d’améliorer la prédiction et le dépistage de la bipolarité dans les domaines médicaux et de santé publique. L’enjeu est de mieux comprendre ce trouble qui comporte de nombreux risques (notamment suicide et altération de la santé) et souvent mal diagnostiqué comme « dépression » et mal traité par des antidépresseurs. De plus, cette étude est censée aider à mieux comprendre les voies du développement psychopathologique conduisant à la bipolarité et par conséquent, aider à identifier les individus à risque et mettre en place des interventions précoces spécifiques. Donc, l’étude danoise n’indique nulle part que le traitement du TDAH ou de l’anxiété juvénile permet d’éviter le développement ultérieur de BP, mais incite à mieux connaître les stades précoces du début de la BP.

En effet, la bipolarité a un début qui n’est pas encore correctement exploré. Des travaux récents se focalisent sur ce point fondamental, comme celle réalisée par NIMH (4) (centre national de recherche des troubles mentaux aux USA) qui a suivi sur une période de 8 ans des jeunes à risque de BP (ayant un parent bipolaire). Cette étude a validé 3 facteurs témoins de début de BP : anxiété/dépression ; labilité émotionnelle (traits cyclothymiques, irritabilité) ; et symptômes maniaques de faible intensité.

Plus de précisions sur les liens entre TDAH et Bipolarité : ce ne sont pas les épisodes qui comptent mais les tempéraments de base

De plus en plus, on s’intéresse chez les adultes aux rapports entre TDAH et troubles de l’humeur. Une étude turque (Harmanci et al, 2016) a comparé 3 groupes de patients : bipolaires (BP), dépressifs (UP) et témoins. La recherche du diagnostic TDAH a montré une fréquence respective de 48% chez les BP contre 25% dans UP et 12% dans le groupe témoin. Le groupe BP + TDAH se distinguait par une élévation importante du risque suicidaire. Un autre résultat important : le diagnostic de TDAH était associé à un profil tempéramental combinant des traits cyclothymiques, irritables, dépressifs et anxieux et cela dans les 3 groupes ! Le tableau qui suit montre les moyennes (écart-type) des scores obtenus sur le questionnaire TEMPS-A (auto-évaluation des tempéraments affectifs).

Cette étude confirme les résultats d’autres études montrant la fréquence élevée du tempérament cyclothymique chez les adultes présentant un TDAH adulte (Landaas et al 2012 (5) ; Perroud et al 2014 (6) ). 

Pour aller plus loin, une autre étude a exploré les tempéraments affectifs chez des adultes ayant présenté un TDAH sans trouble bipolaire (Ozdemiroglu et al, 2018). Les patients étaient divisés en deux groupes : ceux qui ont continué à présenter les critères TDAH après 18 ans (groupe nommé « TDAH Adulte ») et ceux qui ne présentent plus ces critères (groupe « TDAH juvénile »).  Et le résultat est étonnant : les tempéraments cyclothymique et irritable étaient plus élevés chez les individus ayant un TDAH qui persiste après 18 ans. Ce qui signifie que les liens entre TDAH et tempérament cyclothymique/irritable (caractérisé par une instabilité affective et une circularité persistante) sont indépendants du diagnostic de BP typique (I ou II). De plus, La persistance du diagnostic TDAH à l’âge adulte est synonyme de trouble BP cyclothymique, alors que le TDAH non cyclothymique a tendance à régresser voire à disparaître à l’âge adulte.

Une équipe norvégienne à l’université de Bergen (7) trouve une fréquence du tempérament cyclothymique en population générale (n = 721 adultes) chiffrée à 13% ! La présence de ce tempérament était significativement associée à une prévalence augmentée de TDAH (adulte et juvénile), de bipolarité, d’anxiété-dépression, d’abus de substances (alcool) et d’une augmentation de la morbidité mentale globale.

Récemment, avec mon ami le Prof G Perugi, on a réalisé une étude utilisant, conjointement le questionnaire des tempéraments (TEMPS-A) et le questionnaire RIPOST8, qui évalue les dimensions émotionnelles basiques comme la réactivité, l’intensité, la polarité et la stabilité émotionnelles (Bracanti et al, 2019). Le questionnaire RIPOST a été développé au CTAH en 2010 (plus de 4000 patients vus au CTAH ont déjà rempli ce questionnaire).

L’étude a comparé 3 groupes : bipolaire cyclothymique, TDAH et témoins. Les résultats montrent que les 2 groupes de patients BP cyclo et TDAH ont les mêmes scores sur les différentes dimensions émotionnelles, avec surtout un niveau élevé sur le facteur principal, désigné « dérèglement émotionnel négatif ». L’analyse par rapport aux tempéraments affectifs révèle des corrélations assez importantes entre ce facteur et les 4 tempéraments : cyclothymique, irritable, dépressif et anxieux ; alors que le tempérament hyperthymique était corrélé avec le facteur « affectivité positive ». 

Le tableau qui suit présente les items qui sont inclus dans les deux facteurs principaux de RIPOST- 40 items :

Ces résultats vont dans le sens que le TDAH adulte et la BP cyclothymique partagent les mêmes caractéristiques émotionnelles basiques. Ils valident par ailleurs que le TDAH adulte peut être une expression clinique très proche de la bipolarité instable cyclothymique.

Dans ce tableau, on trouve les chiffres de corrélation entre les scores des tempéraments et les scores sur les dimensions évaluées par RIPOST. Plus le chiffre est proche de « 0 », plus la corrélation est faible voire nulle ; Quand le chiffre est de 0,5 ou plus, la corrélation est assez forte (ce qui signifie que le lien entre deux scores est significatif).

Conclusion

Toutes les études concernant la bipolarité et les troubles associés ou comorbides doivent tenir compte d’une exploration complète des tempéraments, notamment le tempérament cyclothymique-irritable. Ce tempérament indique la présence d’une bipolarité instable, qui débute à un âge précoce, qui est distincte de la bipolarité classique type épisodique, comme les troubles BP type 1 et 2. En effet, les pédopsychiatres qui ne considèrent la bipolarité que dans sa forme typiquement épisodique, peuvent affirmer à tort l’absence de ce diagnostic chez les jeunes et se contentent de retenir les symptômes les plus visibles comme le TDAH et/ou les troubles anxieux (TOC, panique, phobie sociale, anxiété de séparation…). La connaissance de la bipolarité dans l’ensemble de ses formes cliniques, notamment les formes cyclothymiques, permet de mieux comprendre les stades précoces de la BP, les liens avec d’autres troubles et surtout de mettre en place les approches thérapeutiques les plus adaptées. C’est dans ce sens qu’on peut le mieux lire et interpréter les études concernant le TDAH et la bipolarité (9).

L’approche globale et complète de la bipolarité à travers les tempéraments permet de saisir les complexités de cette maladie et d’aborder la « comorbidité apparente » (p. ex. le TDAH, les troubles anxieux, l’abus de substances…) comme une dimension appartenant à l’histoire naturelle de la bipolarité.

Bibliographie

(1) – Extrait du livre « Cyclothymie : troubles bipolaires chez l’enfant et l’adolescent », 

Hantouche et al, J Lyon 2006, 2ème édition 2012.

(2) – D Purper-Ouakil, et al. “What do childhood attention deficit/hyperactivity symptoms in depressed adults tell us about the bipolar spectrum?” Psychiatry Res 2017; 249: 244-51

(3) – Meier SM et al. Attention-deficit hyperactivity disorder and anxiety disorders as precursors of bipolar disorder onset in adulthood. British Journal of Psychiatry, 2018.

(4) – Hafeman DM et al. Toward a definition of bipolar prodrome: dimensions predictors. Am J Psychiatry, 2016.

(5) – Landaas ET et al. The impact of cyclothymic temperament in adult ADHD. J Affect Disord 2012; 142:241-7.

(6) – Perroud N et al. Comorbidity between ADHD and bipolar disorder in a specialized

mood disorders outpatient clinic. J Affect Disord 2014; 168: 161-6.

(7) – Syrstad VEG et al. Cyclothymic temperament: association with ADHD, other psychopathology,

and medical morbidity in the general population. J Affect Disord 2019; Aug 19,260: 440-7.

(8) – Hantouche E. Les Tempéraments Affectifs : L’architecture naturelle de nos émotions. J Lyon 2014.

(9) – Hantouche E. Sommes-Nous Tous Bipolaires. J Lyon, 2018.

12 ans, bipolaire et sous lithium

Podcast RTL « SYMPTOMES », troubles bipolaires : le cas complexe d’une enfant de 12 ans

Comme cela est très bien dit en introduction de ce podcast : si la connaissance et la recherche progressent sur les troubles psychiques, les préjugés, eux, restent bien ancrés. 

Nous rajouterons : y compris dans le milieu médical. En effet pour beaucoup trop de médecins encore, la bipolarité chez l’enfant n’existe pas ! 

C’est pourtant un sujet crucial et un enjeu de santé publique quand on sait qu’1 français sur 5 est concerné par les troubles psychiques ! 

Dans ce podcast « Symptômes » les médecins se confient sur ce patient pas comme les autres qui a marqué leur carrière. 

Ici c’est le Dr Alicia Cohen, pédopsychiatre à l’hôpital Robert Debré à Paris, qui raconte l’arrivée aux urgences, un soir de Noël, d’une enfant de 12 ans et de sa maman.

Dès son arrivée le tableau clinique de la jeune fille est évocateur d’une bipolarité BP1. Parmi les symptômes typiques et caricaturaux on note des troubles du comportement +++, une fuite des idées, une logorrhée, des idées de grandeur (elle dit avoir des pouvoirs), une humeur très exaltée, des hallucinations acoustico-verbales, un syndrome délirant, une insomnie sans fatigue. Elle est agitée sur le plan moteur, elle tient des propos incohérents, elle parle toute seule dans les couloirs, danse, se déshabille et se prend pour Jésus.

De plus elle est violente avec sa maman qui note une rupture brutale avec son état de base. « C’est un coup de tonnerre dans un ciel serein » pour reprendre l’expression consacrée par les psychiatres. Son cycle de sommeil est inversé. 

Le personnel des urgences est dépassé. 

On vous laisse imaginer si des professionnels de santé sont dépassés ce que cela peut donner dans le huis-clos familial…

La pédopsychiatre Alicia Cohen insiste sur le fait qu’il faut absolument creuser dans les antécédents familiaux et personnels du patient pour donner des pistes de diagnostic.  Ce travail d’investigation est nécessaire à la pose du bon diagnostic. Un minutieux travail d’interrogation sur le tempérament du patient et dans la famille est également indispensable. Il faut également rechercher des points d’appel d’un éventuel trouble du neuro-développement pour expliquer les troubles du comportement actuel. Même s’il n’y a pas forcement de lien direct, cela peut-être un facteur de risque. Le personnel médical est obligé de mener l’enquête. 

Chez Bicycle nous constatons encore trop souvent que ce travail est rarement mené et les antécédents familiaux encore plus rarement évoqués ou vite balayés. 

A noter cependant que ces symptômes très spécifiques sont rarement présents avant 15 ans et que l’investigation et l’expertise des médecins prennent alors tout leur sens pour ne pas passer à côté d’une bipolarité à début précoce. 

Malgré son jeune âge, le diagnostic est sans appel pour l’équipe médicale. Cette accélération psychomotrice associée à des idées qui se bousculent dans sa tête avec des caractéristiques psychotiques liées à ses délires mystiques et à des voix qu’elle semble écouter, c’est typique d’un épisode maniaque et cela signe l’entrée dans la maladie bipolaire même si sa mère n’a jamais noté d’épisodes dépressifs. 

Précisons que chez l’enfant les symptômes dépressifs sont souvent différents de chez l’adulte. L’irritabilité +++ est souvent au premier plan. 

L’adolescente reçoit un premier traitement pour gérer l’épisode maniaque : un neuroleptique. 

Elle répond bien à cette première ligne de traitement et les symptômes régressent progressivement mais un mois après l’équipe médicale assiste a une nouvelle recrudescence des symptômes. Les médecins décident alors d’augmenter le traitement car elle avait bien répondu à la prescription initiale et ils envisagent que la posologie ne soit peut-être pas adaptée. Mais l’amélioration n’est pas au rendez-vous malgré le recours complémentaire à une chambre d’isolation thérapeutique pour faciliter sa redescente. L’objectif de cette chambre est de permettre une isolation sur le plan sensoriel à la jeune patiente pour l’extraire du brouhaha permanent du service. Cela permet également d’éviter un traitement sédatif trop important. Malgré tout cette solution n’apporte pas les résultats escomptés. 

Elle continue de se mettre en danger et met également en danger l’équipe. Sa violence explose et elle devient très difficile à gérer. Plusieurs infirmières sont en arrêt de travail suite aux coups qui redoublent. D’autant plus que sa force est décuplée dans ces moments-là. 

Le personnel médical doit chaque jour canaliser la violence et est sous forte tension. 

Imaginez les situations que doivent gérer nos familles pour palier le manque d’accès aux soins ou tout simplement par méconnaissance de ce trouble chez l’enfant… Si un enfant réussi à épuiser toute une équipe médicale qui veille sur lui jour et nuit, on vous laisse le transposer au sein d’une famille et imaginer l’enfer domestique… 

Un nouveau neuroleptique est essayé avec une nouvelle molécule. De nouveau la jeune fille semble bien répondre au traitement. L’évolution est favorable même si des symptômes résiduels persistent. Malheureusement à 2 mois du premier épisode, il y a de nouveau une recrudescence des symptômes. Elle échappe encore à cette nouvelle molécule. A ce moment elle devient même agressive avec les médecins preuve que « toutes les barrières ont sauté » et que la situation est grave. 

Note pour les professionnels : la plupart du temps quand les parents débarquent avec leur cyclokid sous le bras et que dans votre service il est sage comme une image ne remettez pas systématiquement en doute les parents. Croyez-les et investiguez ! C’est eux qui connaissent le mieux leur enfant et probablement que vous avez de la chance car les barrières n’ont pas encore toutes sauté et que vous pouvez encore agir avant une crise plus grave !

C’est seulement à ce moment-là que les médecins décident de passer à une bithérapie c’est-à-dire d’ajouter un thymorégulateur – ou régulateur de l’humeur- : du lithium. En conservant le neuroleptique pour la manie. Une prise en charge « ceinture et bretelles » d’après la pédopsychiatre. 

Chez Bicycle nous constatons malheureusement que les neuroleptiques sont souvent donnés en première intention même en dehors d’un épisode maniaque caractérisé. D’après notre savoir experientiel ils ne sont souvent pas aussi efficace qu’un thymoregulateur classique sur le long terme (anti-epileptique, lithium). 

L’adolescente répond une nouvelle fois favorablement au traitement et peut même intégrer l’école de l’hôpital où les retours sont positifs. En phase maniaque, il était bien évidemment impossible pour elle de se concentrer sur un cours. 

En dehors des phases de décompensation où elle peut insulter et frapper l’équipe, elle se révèle être une jeune fille qui investit énormément sa prise en charge, avec qui les liens sont bons et qui a énormément d’humour et de culture. La maman dit « retrouver sa fille ». 

Il n’y a bien sûr pas de meilleure récompense pour le service de pédopsychiatrie quand les parents disent enfin reconnaitre leur enfant ! 

Mais au 3ème mois d’hospitalisation, ça recommence… 

L’équipe décide alors de conserver le lithium mais de changer une nouvelle fois de neuroleptique. L’adolescente tolère mal l’accumulation des traitements et présente alors un syndrome « extrapyramidal » c’est-à-dire que son corps supporte mal les molécules ingérées et elle présente de nombreux effets secondaires (vomissements, tremblements,…).

Les médecins s’interrogent : même si elle a bien répondu aux traitements jusqu’à présent, ils sont persuadés qu’ils sont passés à côté de quelque chose. 

Mais quoi ? Qu’ont-ils raté ? 

Ils finissent même à y penser en dehors de l’hôpital quand ils rentrent chez eux car les symptômes sont très intenses et tout peut arriver. 

Cette remise en question par rapport aux réactions aux traitements et à l’évolution est essentielle. Elle n’est pourtant pas toujours envisagée. Et après plusieurs échecs thérapeutiques ou des traitements qui ne fonctionnent qu’un temps, il n’est pas rare de voir des professionnels conseiller l’éloignement familial comme dernière alternative. 

Le « tilt » vient après la remarque anodine d’une infirmière : après chaque décompensation, elle a toujours ses règles. 

Les infirmiers, comme les parents, ont accès à une intimité du patient, ils partagent tout le quotidien et leurs retours sont importants. Une coopération et une collaboration entre et avec tous les acteurs autour de l’enfant est indispensable. Savoir écouter, être attentif, cela va être décisif dans la prise en charge de la maladie.

À l’association on pense que le parent doit être considéré comme un co-thérapeute et plus que la cause du problème, il est souvent le début d’une solution. 

Les médecins font alors le rapprochement que chaque nouvel épisode est effectivement déclenché par le syndrome pré-menstruel qui provoque une tempête hormonale. 

Une pilule qui supprime les cycles menstruels est alors ajoutée au traitement et ça fonctionne ! 

Ne pas oublier de noter tous les éléments  déclencheurs des crises ! On se rend souvent compte que ce sont toujours les mêmes qui reviennent : la faim, la chaleur, le bruit, le parfum de la maîtresse, les cousinades,… Ce qui permet ensuite de  travailler dessus en amont. 

Un second travail indispensable est alors mené par le Dr Alicia Cohen en parallèle du traitement médicamenteux : la psycho-éducation du patient et de sa famille. Comme le souligne la pédopsychiatre la bipolarité particulièrement nécessite un engagement de la part du patient et de sa famille dans les soins. 

L’acceptation de la maladie est aussi indispensable. 

L’éducation du patient et de son entourage est donc primordiale pour devenir expert de la maladie. Dans la bipolarité, la famille et le patient en l’occurrence ici l’enfant doivent absolument savoir gérer pour éviter la répétition des crises. 

Le Dr Alicia Cohen précise également qu’il ne faut surtout pas interrompre le traitement, au moins pendant plusieurs années, car si la maladie est bien stabilisée elle peut perdre en intensité et à l’inverse les rechutes peuvent l’aggraver. 

Pendant 1 an tout va bien. Et comme justement tout va bien c’est à ce moment-là que l’adolescente décide d’interrompre son traitement. Elle mettra plusieurs semaines avant de décompenser et de se présenter à l’hôpital avec un « moi, c’est Jésus ». 

Bien sûr comme dit précédemment si tous les enfants souffrant de troubles bipolaires se présentaient à leur médecin en se prenant pour Jesus ce serait plus facile ! 

Une nouvelle décompensation n’est jamais anodine, c’est une de plus que le corps et le cerveau doivent supporter.  

Depuis, l’adolescente est retournée au lycee, elle a retrouvé sa vie mais cette fois en étant tout à fait consciente de sa maladie.

Alicia Cohen conclut sur le fait que la qualité de la prise en charge du premier épisode va impacter la trajectoire du développement de l’enfant. La pédopsychiatre constate qu’il y a un vrai impact sur l’évolution de la maladie par rapport à la façon dont les premiers épisodes sont traités.

C’est tout l’enjeu du diagnostic précoce et la raison d’être de Bicycle. 

Bien traités, bien suivis, ces enfants  peuvent alors avoir une vie normale. 

N’oublions jamais que la bipolarité est une des pathologies psychiatriques les plus graves car quand elle n’est pas prise en charge correctement elle peut mener à des tentatives de suicide. 

Le Dr Alicia Cohen utilise cette métaphore : « C’est plus facile d’arrêter un train qui part de la gare que d’arrêter un train à pleine vitesse ». 

Chez Bicycle notre objectif sera toujours d’avoir un train d’avance, le plus sûr moyen de raccrocher les wagons !

La bipolarité débute majoritairement dès l’enfance !

Auteurs : 

Angélique Excoffier, psychologue clinicienne, psychothérapeute 

Jean-Pierre Guichard, psychiatre, psychothérapeute – Clinique La Nouvelle Héloïse, Montmorency (95)

L’une des meilleures preuves de la réalité de la bipolarité infantile, qui fait encore l’objet de controverses, a été apportée par un certain nombres d’études rétrospectives, conduites principalement aux Etats-Unis, et consistant à interroger des adultes diagnostiqués bipolaires sur la question de savoir à quel âge, selon eux, leur trouble a débuté dans leur vie. C’est ainsi que 20 à 40% d’entre eux ont rapporté avoir présenté des symptômes avant leur puberté.Nous avons nous-mêmes questionné nos patients adultes souffrant de bipolarité sur ce sujet, ainsi que des membres de leur entourage lorsque cela était possible, et restituons ci-après quelques-uns de leurs témoignages, parmi les plus édifiants.
Marion, 34 ans (Trouble bipolaire type II) « le clown triste »

J’ai des souvenirs d’une époque merveilleuse où je me sentais “adorable, drôle, mignonne, aimée de tous…” Je me prenais pour une “princesse de conte de fées” et aimais faire le “clown” aussi bien en classe qu’à la maison, faisant rire mes camarades, mes parents, mes grandes sœurs, les voisins…

Et pourquoi, après la naissance de ma petite sœur, simple hasard ou non (?), vers mes 7 ans, l’apparition des premières bouffées de peur, de honte et de non-bonheur. Pleurs, visage rébarbatif, humeur sombre, perte de l’envie de jouer et de la capacité de m’amuser, sensation de laideur et de solitude, bref “mater dolorosa”, comme ma famille m’avait rebaptisée !

Par la suite, il m’arrivera par périodes de me montrer extravertie, insouciante, en apparence trop sûre de moi, voire exhibitionniste, capable à nouveau d’amuser la galerie… mais souvent avec le sentiment, au fond de moi même, d’appartenir à la catégorie des “clowns tristes”.

Sébastien, 48 ans (Trouble bipolaire type I) « le mal élevé »

Du plus loin que je me souvienne, je me suis toujours senti différent. Tout petit déjà, vers l’âge de 5 ans, je souffrais comme disaient mes parents “de crises de rage”. Il est vrai que je pouvais me mettre dans des colères si intenses que j’aurais pu casser les murs… J’avais comme une allergie à la frustration et à l’autorité. Une simple remarque de mes parents comme “va ranger ta chambre” ou “brosse-toi les dents” me mettait dans une colère folle. Un jour, j’ai même brisé à coups de pieds la table en verre du salon parce que je devais arrêter mon jeu vidéo et aller me coucher. Je n’étais pas tendre également dans les mots, faut voir tous les noms d’oiseaux que mes parents ont reçus de ma part. 

Après ces crises, j’avais beaucoup de mal à retrouver mon état normal et je m’en voulais terriblement. Rien de pouvait me faire redescendre. Mes parents étaient désemparés.

Ah mes parents, ils ont beaucoup souffert de me voir dans ces états, sans compter le jugement de la famille “vous ne lui donnez pas assez de limites”, “il est vraiment mal élevé”.

 Mes crises émotionnelles ont rendu ma scolarité compliquée, mes professeurs me disaient “ingérables”; À certains moments j’étais surexcité : je faisais “le clown”, mais une simple remarque des professeurs et je leur envoyais des objets dans la tête, puis il y avait des périodes où je me repliais sur moi, je me sentais le plus nul, je ne voulais plus aller à l’école. 

Mes parents m’ont emmené consulter tous les spécialistes du coin, j’ai eu droit à tous les diagnostics possibles mais aucun n’était le bon : hyperactif, trouble du comportement avec opposition, personnalité antisociale, trouble du spectre autistique…

Je souffrais tellement le martyr moralement que souvent je voulais mettre fin à mes jours. Lorsque j’avais 10 ans, j’ai pris le couteau de la cuisine pour essayer de me tuer, heureusement mes parents m’en ont empêché. Je pensais en moi-même qu’ils seraient bien plus heureux sans moi. 

J’ai été diagnostiqué bipolaire à l’âge de 47 ans. Depuis le traitement et la psychoéducation ont changé ma vie. 

Céline, 25 ans (Trouble bipolaire type I) « la petite fille au crayon magique »

Les souvenirs de ma propre enfance sont assez fragmentés mais encore très lisibles. Ce sont des situations marquantes pour ma part, ainsi que de fortes émotions ressenties qui me reviennent en mémoire.

Je me souviens que dès ma petite enfance, je ne supportais pas la frustration et étais souvent victime de mes émotions : colères, crises de larmes, repli sur moi-même. L’hyperémotivité était un trait de mon caractère qui prenait beaucoup de place. J’avais la place du “clown” dans ma famille, j’adorais me donner en spectacle et accaparer l’attention. A la maison et sous le regard agacé de ma sœur aînée, je me mettais en scène à chaque début de dîner : déguisements, imitations, acrobaties farfelues et j’en passe. 

Moi ce que j’aimais : c’était dessiner, faire de la poterie, danser, chanter et flâner. Créer constituait mon activité principale. Je me rappelle avoir offert à ma maîtresse quelques dessins à mon retour de vacances. Ces dessins représentaient des personnes nues, avec des chandeliers à la place de la tête et des rollers à la place des pieds. Je trouvais ça beau, unique et original. Et je me souviendrais toujours de son étonnement lorsqu’elle les regardait, tout en me remerciant. J’offrais des dessins de sirènes à chaque élève et je souhaitais par ce biais me faire apprécier, ou bien même me sentir plus proche de mes camarades.

J’avais aussi plus ou moins développé un certain intérêt pour le sexe. Je ne savais pas exactement de quoi il s’agissait mais j’en étais fascinée. J’adorais chorégraphier les danses affriolantes de certaines chanteuses. Mes premiers préliminaires, si l’on peut appeler cela comme ça, se firent dans les toilettes de mon école primaire avec une camarade de classe et je m’amusais à crier “Pénis, pénis, pénis! “, “Papa et maman ont fait l’amour ce matin”, “I’am a sexy girl” à tue-tête, une fois rentrée à la maison.

Cela ne m’empêchait pas d’être une petite fille très angoissée, faisant des attaques de panique à répétition et aujourd’hui en tant qu’adulte, je suis claire sur le fait que cela n’avait rien de normal. Je criais à plusieurs reprises la nuit jusqu’à ce que ma mère vienne me réveiller, s’assurant que j’allais bien. Mes cauchemars m’avaient amené chez le psychologue, tant ils étaient violents et inadaptés pour une petite fille de mon âge. La nuit j’avais des hallucinations visuelles récurrentes que j’expérimentais au moins deux à trois fois par mois et qui consistaient à voir le visage de ma défunte grand-mère paternelle (diagnostiquée maniaco-dépressive et décédée par suicide, je viens de l’apprendre) à travers mon miroir, non loin de mon lit. On ne peut pas dire qu’elle avait l’air bienveillante et ça me glaçait le sang.

Lorsque mon père est parti de la maison, suite à la séparation soudaine de mes parents, alors que j’avais 7 ans, ce fut le déclenchement d’une toute autre ère de ma vie. Sans parler du sentiment d’abandon qui résidait en moi, j’étais révoltée. J’en ai d’ailleurs voulu à mon père pendant près de 10 ans. Si je parle d’une nouvelle ère, c’est parce que ce sentiment qu’était l’abandon a changé la perspective que j’avais des hommes et il a d’ailleurs été déterminant pour la jeune femme que j’allais devenir (hypersensibilité accrue, peur du rejet, paranoïa… ).

J’ai le souvenir d’avoir été assez malheureuse les années succédant à la séparation de mes parents. Je suis incapable de dire si cela s’apparentait à une forme de dépression, mais la vie était loin d’être rose. J’avais moins d’intérêt pour les choses et surtout j’étais moins créative.

Christine, 58 ans (Trouble bipolaire type II) « le papillon »

Petite, quand je partais sans mes parents, j’avais beaucoup de choses à raconter à mon retour. Je parlais sans arrêt. On n’arrivait plus à m’arrêter. Mes idées et mes paroles se succédaient à un tel rythme que ma mère me disait et me répétait à chaque fois : arrête de parler et mange. Tu nous saoules ! Enfant, je m’intéressais à tout, les centres d’intérêt se succédaient à toute allure comme les idées. J’étais inattentive en classe, distraite par la moindre chose, un bruit, un rire et je mettais ensuite un certain temps pour retrouver le fil du cours. Les bonnes sœurs de la pension m’avaient surnommée “papillon”. Cette tendance à me disperser m’a aussi valu le qualificatif de “dilettante”. A 12 ans, ma mère m’a emmenée voir un psychologue car j’avais des difficultés relationnelles avec les enseignants qui ne supportaient plus mon comportement, “j’étais épuisante pour tout le monde”. C’est à 15 ans que j’ai fait ma première dépression.

Marie-José, 45 ans (Trouble bipolaire type I) « Jean-qui-rit, Jean-qui-pleure »

Petite, mes parents m’appelaient “Jean qui rit, Jean qui pleure”. A la moindre contrariété, je piquais une grosse colère ou bien m’isolais. A cette époque déjà, j’avais beaucoup de mal à me concentrer. A l’adolescence, je présentais de nombreuses sautes d’humeur dans la même journée. On disait de moi que j’étais lunatique. Si j’étais réprimandée par les professeurs, je pouvais me mettre à pleurer et avoir des idées noires, ou bien je me sentais si forte que j’allais à l’affrontement sans penser aux conséquences. Je savais que quelque chose n’allait pas en moi. Je n’étais pas faite comme les autres. 

Corinne, 49 ans (Trouble bipolaire type I) « l’infernale »

Enfant, on disait de moi que j’étais “mal élevée”, “infernale”. Ma mère avait beaucoup de mal avec moi et préférait ma sœur. Je ne savais pas ce que je voulais, je pouvais désirer une chose et changer d’avis dans la seconde qui suivait. A l’école c’était très difficile : par moments je débordais de vitalité, alors que d’autres moments sombres m’empêchaient de suivre normalement ma scolarité. J’avais beaucoup d’angoisses, des angoisses d’abandon et d’agression. J’avais d’indéniables capacités artistiques. A 10/11 ans je faisais des dessins qui représentaient mes états d’âme : des têtes de mort et des squelettes dans mes moments sombres et des paysages d’îles paradisiaques dans mes moments «soleil’’.

C’est à l’âge de 12 ans que sont apparues mes premières idées suicidaires. J’avais même échaffaudé un plan de suicide. J’habitais à côté d’une gare (mon père était agent SNCF) et avais l’idée de m’allonger sur les rails et d’attendre le passage du train. Un jour j’y suis allée, déterminée à mettre fin à mes jours, je me suis couchée sur les rails, mais au dernier moment je me suis relevée en me disant qu’il fallait que je continue à me battre. Souvent ce qui déclenchait ma souffrance et mes idées suicidaires c’était les disputes infernales avec ma mère. Elle ne me supportait plus, elle me disait que j’étais “méchante, caractérielle”.

Aurélia, 28 ans (Trouble bipolaire type I) « la tornade » (témoignage rapporté par sa soeur aînée)

“Dès son plus jeune âge, Aurélia était très turbulente et ne dormait pas beaucoup. Elle a fait au moins deux fois l’école buissonnière à seulement 6 ans (en ressortant de l’école après que ma mère l’ait déposée). Quand elle n’obtenait pas ce qu’elle voulait, elle avait l’habitude de pousser des colères impressionnantes, brisant des objets, déchirant ses vêtements… Elle mentait régulièrement. Un soir d’hiver où je la gardais, j’ai fermé la porte de sa chambre à clef pour l’obliger à faire ses devoirs. Elle s’est alors déshabillée, mise en chemise de nuit, puis a sauté par la fenêtre et s’est roulée dans la neige. Ensuite, elle est allée sonner chez nos voisins en racontant que je l’avais mise dehors ! Elle pouvait se montrer pendant un certain temps exubérante, taquine, farceuse, parlant et bougeant sans arrêt, puis sans raison, changer tout à coup d’attitude, devenant pensive, taciturne, silencieuse et apathique, comme si un ressort s’était cassé en elle… A 8 ans, à l’annonce de la naissance de notre petite sœur Laure, son visage se figea et elle alla, sans rien dire, s’isoler dans les toilettes. Comme elle s’ éternisait et ne répondait pas, j’ai alerté mon père qui défonça la porte : nous l’avons découverte en train d’essayer de se pendre à un tuyau avec une cordelette (Grande frayeur). Avait-elle peur de ne plus être aimée ? A partir de 9 ans, elle a fait des fugues et a volé, à plusieurs reprises, de l’argent (des billets) à mes parents, ce qui amenait mon père à la corriger parfois sévèrement. Aurélia dit souvent qu’elle a été une enfant battue, mais je lui explique pourquoi (elle ne se rappelle pas de tous ces événements). Je me souviens qu’un jour, vers 14 ans, elle a frappé ma grand-mère avec violence, parce qu’elle avait changé de chaîne de télévision à la maison, en lui disant qu’elle n’était pas chez elle et n’avait aucun droit… L’année suivante, suite à une dispute avec ma mère, Aurélia s’enferma dans la salle de bain et avala des médicaments. Quelque temps plus tard, au cours d’une crise de colère, elle ira jusqu’à menacer ma mère avec un couteau…”.

Ces divers témoignages nous apportent donc des renseignements intéressants sur la présentation clinique de la bipolarité dans l’enfance.

Il est à noter que, pour trois des patients, des événements de vie stressants semblent avoir joué un rôle dans le déclenchement d’épisodes, comme cela peut s’observer à l’âge adulte : séparation des parents (Céline) ; naissance d’une sœur (Marion et Aurélia).

Si les tableaux cliniques brossés par nos témoins ne paraissent pas aussi complets que chez les adultes, ils comportent néanmoins, pour certains, des symptômes assez typiques, d’une part de la lignée dépressive, tels : “humeur sombre” (Marion, Corinne), perte d’envie, désintérêt, ne plus jouer, ne plus s’amuser (Marion), baisse de la créativité (Céline), souffrance morale, sentiment de nullité (Sébastien),  idées ou passages à l’acte suicidaires (Aurélia, Corinne, Sébastien)… ; et, d’autre part, de la lignée (hypo)maniaque : logorrhée, fuite des idées, distractibilité, dispersion (Christine), hypersexualité (Céline), faire le “clown” (Marion, Céline, Sébastien), irritabilité, voire “rage” (Sébastien) qui n’est pas rare dans la manie infantile. 

On retrouve chez plusieurs de nos patientes (notamment Marie-José, Corinne et Aurélia) des manifestations évocatrices d’un tempérament cyclothymique/hypersensitif, caractérisé chez les enfants par des variations importantes et brutales de l’humeur (sans causalité apparente), associées à une hypersensibilité affective et une  hyperréactivité émotionnelle, qui s’accompagnent souvent d’intolérance à la frustration, d’impulsivité et de colères. Or, ce tempérament est considéré comme un prédicteur sérieux de la bipolarité.

Tout permet de penser qu’Aurélia présente, en outre, un trouble des conduites (TDC), c’est-à-dire un trouble du comportement qui se traduit par des conduites agressives ou dyssociales graves (brutalité, destruction de biens, vols, mensonges répétés, école buissonnière et fugues… ). Ce trouble est connu pour représenter- tout comme le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDA/H) – une comorbidité hautement associée au trouble bipolaire et un solide précurseur de ce dernier.

Il en serait de même pour certains troubles anxieux (anxiété de séparation, trouble anxieux généralisé, trouble panique), dont souffraient manifestement Céline et Corinne. 

Il est à signaler que les patients dont nous avons reproduit ici les témoignages portant sur leur enfance n’ont été diagnostiqués et pris en charge qu’à l’âge adulte, en dépit, pour trois d’entre eux de passages à l’acte suicidaire et pour cinq d’entre eux d’antécédents familiaux importants (parents ou grands-parents souffrant de trouble bipolaire).

Force est de constater que le trouble bipolaire pédiatrique est encore aujourd’hui insuffisamment diagnostiqué en France.

Malgré les controverses, devant des symptômes tels que ceux décrits par nos patients présents chez eux enfant, il ne faudra donc pas hésiter à évoquer le diagnostic de trouble bipolaire infantile, a fortiori lorsqu’il existe des antécédents familiaux de bipolarité.

En effet, un repérage précoce de cette maladie (ou de ses précurseurs) apparaît primordial, puisque dépend de celui-ci la prise en charge thérapeutique (curative ou préventive), sans laquelle le développement psychosocial et la scolarité de l’enfant pourraient se trouver gravement compromis. 

BIBLIOGRAPHIE

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Faire face au trouble bipolaire.
Guide à l’usage du patient et de ses aidants
A. Excoffier et J.P. Guichard
Éd. ELLIPSES

Les troubles bipolaires en 100 mots.
Mieux connaître la bipolarité
J.P. Guichard
Éd. ELLIPSES

Tout un poème par Lajen Érale

Sept heures du matin, déjà réveillé
Le voilà devant ma chambre à me demander
S’il peut venir squatter
Et c’est le début d’une longue journée!
Sur le lit, le gainage a commencé
Tout en racontant les rêves qu’il a fait
Et quels seront ses projets d’après
Et les cadeaux qu’il voudrait
Dans sept mois à peu près
Avec son anniversaire à fêter
Ou l’énième changement de métier
Celui qu’il choisirait
Dans quelques années
Et les questions par milliers
Pendant le petit déjeuner
Entre deux cachets à avaler…
Petite toilette vite fait
Trente secondes pour s’habiller
Et le vélo est déjà enfourché
Pour une petite randonnée,
Puis il rentre raconter
Que son VTT s’est transformé
En moto et les policiers,
Lui, il les a semé!
Imaginaire stimulé,
Dans sa tête en réalité,
Ça ne s’arrête jamais
Mais pas le temps d’y penser
Il y a des saltos à tester
Dans le trampo fatigué
Par ce gamin qui vient l’user!
Une petite pause méritée?
Et un dessin animé
Suivi d’un clip à regarder
Pour chanter et danser,
Faire le show, il connaît!
Tiens! Et s’il bricolait?
Colle, ciseaux, papier,
Marteau, planche à clouer
Même la peinture est déballée !
Et qui va ranger?
Pas lui, il doit se changer
Il a déjà trop chaud, ça y est!
L’armoire est vidée
Retour sur le vtt
Et le trampo juste après!
User le canapé?
Pas le temps il paraît!
Et s’il commence à s’ennuyer
Quand il fait les cent pas, à s’agacer,
Il faut vite trouver de quoi l’occuper,
Sinon, crise assurée!
Après de multiples activités
Avec cette énergie démesurée
Arrive la fin de la journée
Le programme passé
Nous est détaillé
Pendant le dîner…
Vingt heures, le voilà couché!
Vingt heures deux, dans les bras de Morphée
Et nous totalement vidés
Tant il nous a épuisé
C’est encore la télé
Qui ce soir va nous regarder!
TDAH ou hyperactivité
En plus de sa bipolarité
« C’est une mode » dit la société!
Mon petit gars, je vais vous le prêter
Et alors après,
On reparle, je vous promets,
De ce diagnostic et de ses idées
Que vous vous faites du sujet!
Alors, vous êtes prêt?
LaJen Érale

Cinéma : Les intranquilles

Bicycle coup de coeur !

Il est adulte, artiste peintre et souffre d’un trouble bipolaire. Ainsi planté le décor peut paraître assez typique voire attendu. Il l’est mais plutôt  qu’à la maladie et à sa prise en charge c’est bien à l’intrication de la vie familiale et de la bipolarité que ce film a décidé de s’intéresser.

Le titre est inspiré de celui du livre de Gérard Garouste « L’intranquille » lui-même peintre et souffrant d’un trouble bipolaire. Mais si le réalisateur, Joachim Lafosse, a décidé de le mettre au pluriel c’est bien pour nous raconter le quotidien de toute une famille confrontée à la maladie bipolaire. Ici la famille est vue comme une équipe ! Et ça, chez Bicycle, ça nous parle !
Ainsi dans la famille « Intranquille » il y a le père et le conjoint, Damien qui est aussi celui qui est atteint de bipolarité mais il y a aussi Leïla, la compagne et la mère, Amine, le fils et Patrick le père de Damien et le grand-père.
Toute la famille vit au rythme effréné de Damien, souffre et s’épuise.

Leïla vit dans l’angoisse de la prochaine crise tout en s’inquiétant pour la sécurité de son fils sans pour autant vouloir le séparer de son père…  L’équilibre est difficile à trouver tant Leïla est fatiguée par les ascenseurs émotionnels que lui fait traverser Damien. Pourtant à chaque fois « elle y croit » comme elle dit avant que Damien ne replonge… Malgré sa patience et son empathie exemplaire, elle finit elle aussi par craquer… La bipolarité demande de l’endurance, beaucoup d’endurance… On la voit devenir à son tour dysfonctionnelle alors qu’elle ne cherche qu’à préserver son fils. On assiste ainsi à une scène où elle pète littéralement un plomb en le traînant de force sous une douche froide…
Leïla, c’est nous, la mère ou le père aidant avec notre cyclokid.

Amine, le fils, est traversé par plusieurs émotions, il a parfois honte de ce père extravagant mais aussi très peur pour celui qu’il admire et qu’il aime tant. A plusieurs reprises on le sent submergé par beaucoup de tristesse mais aussi de la colère quand sa mère est tentée de lui donner un rôle qu’il ne devrait pas avoir notamment lorsqu’elle le prend à témoin de la bonne médicamentation  paternelle. Amine devient parfois le père de son père quand celui-ci perd le contrôle et fait preuve d’une maturité incroyable pour son âge. Il sait  lui aussi désarmorcer les crises et ne pas provoquer l’escalade comme dans cette scène où il imite avec beaucoup d’humour un délire de son père.
Cet enfant peut tout à fait nous faire penser au frère ou à la sœur aîné(e) ou cadet(te) qui accompagne notre cyclokid.

UEnfin Patrick, le grand-père aide les aidants directs, Leïla et Amine. Il temporise et représente une véritable bouée de secours  pour la famille. C’est celui sur lequel on peut toujours compter.
Patrick, c’est le grand-parent ou l’ami qui nous permet de souffler.

Et puis, bien sûr, il y a Damien, qui, en bon bipolaire, est terriblement « attachiant ». La phase du déni est particulièrement bien illustrée.
Beaucoup de familles de l’association la rencontrent, en particulier avec leurs adolescents, et pourront s’y reconnaître.
Ce film pose aussi la question de « jusqu’où peut-on aller par amour ? » et « jusqu’où faut-il aller par amour ? ».

Le risque bien sûr est de ne voir la personne souffrant de trouble bipolaire qu’à travers sa maladie alors qu’elle ne la définit pas et qu’elle ne représente qu’une petite partie d’elle. Garder sa juste place, celle de compagne, de fils, de père et non celle d’infirmier(e). Faire confiance malgré tout, accompagner sans faire « à la place de », responsabiliser, autonomiser pour redonner au malade le pouvoir de reprendre le contrôle sur son trouble et sur sa vie. Mais aussi savoir poser des limites et ne pas s’oublier soi-même. Ne pas tout vivre à travers la bipolarité.

La bipolarité est avant tout  une histoire de famille et d’amour…

Une belle leçon d’humanité. C’est ce que ce film décrit à merveille.

Livre «Le Vol d’Icare»

📚Bicycle coup de ❤

Les livres sur la bipolarité pédiatrique sont rares et méritent d’être signalés !

D’autant plus que Bicycle a été largement sollicitée pendant l’écriture de cet ouvrage !
Nous avons le plaisir de vous annoncer la sortie du livre « Le vol d’Icare – Au secours je suis bipolaire » par Christine Deroin avec la participation de la psychologue Angélique Excoffier, collection Saison Psy aux Editions Le Muscadier en vente chez tous les bons libraires !

C’est le premier roman en français sur la bipolarité juvénile. 

Une double approche est proposée dans ce livre  : une partie fiction et une partie documentaire. A la fin de chaque chapitre, la psychologue Angelique Excoffier, psychologue clinicienne et conseillère scientifique de notre association analyse et décortique  les actions et les comportements des personnages sous le prisme de la bipolarité : difficultés dans la vie sociale, comportements à risque, confusion entre TDA/H et bipolarité, détresse et solitude des familles,…

On comprend ainsi mieux la spécificité du trouble bipolaire chez l’enfant. 

« Valentin a dix ans quand il arrive dans sa nouvelle école. Sur un mur de sa classe est affichée une reproduction du collage de Matisse « Icare ». Valentin fera comme Icare, il volera. Valentin fera mieux qu’Icare  il volera loin, très loin. Il en est certain. Enfin, pas toujours. Parfois, il est aussi certain d’être le plus nul des garçons ».

Un roman qui s’adresse aux adolescents  (mais aussi aux grands !) pour mieux déceler/démystifier le trouble bipolaire chez les enfants et les adolescents. Le parcours de Valentin est très représentatif de celui des enfants que nous suivons chaque jour à l’association.

Un grand merci à Chritine Deroin et Angélique Excoffier pour leur soutien et leur confiance ! 🙌

L’équipage Bicycle vous souhaite une année 2021 sans vague à l’âme !

Même si on reste dans le vague pour cette nouvelle année, pas de quoi être dans le creux de la vague car chez Bicycle les crêtes et les creux, ça nous connaît !

Plus que jamais, pour cette nouvelle année , on sera là, fidèles au cap, pour répondre à vos bouteilles à la mer ou distribuer quelques bouées.
Tous ensemble nous resterons bien ancrés.
Mais ce sera toujours vous qui resterez le phare dans la tempête de votre petit pirate !

Pour 2021, on vous souhaite de trouver la bonne allure pour que l’accalmie soit votre prochaine escale.
Et si votre première résolution était d’aller surfer sur notre nouveau site internet ?