François-Xavier Coudé, Pédiatre

La cyclothymie (trouble de l’humeur) et les troubles des apprentissages (dyslexie, dysplasie, troubles d’atten- tion,…) sont des troubles du comportement de l’enfant habituellement diagnostiqués à l’aide d’un outil de classification américain, le DSM 5. Celui-ci définit les symptômes les plus fréquemment rencontrés dans ces pathologies et le diagnostic est porté si un nombre suffisant de ces symptômes est présent.

En fait, le raisonnement est un peu circulaire. Il est basé sur un consensus d’experts qui détermine les symptômes pertinents d’une pathologie et, si ces symptômes sont présents chez un patient, on considère qu’il a cette pathologie…

Cette classification permet d’étiqueter les patients, ce qui facilite le classement de ceux-ci, par exemple pour l’obtention d’une aide sociale ou scolaire ainsi que pour des essais thérapeutiques, ce qui peut expliquer le succès de ce type d’outils.

Mais le DSM 5 n’est pas un outil diagnostique et il ne permet pas de différencier symptômes et maladies.

L’étude des items DSM 5 chez un enfant consultant pour un trouble des apprentissages ou du comportement montre l’existence quasi-systématique de comorbidités (1,2,3) que ce soit entre trouble des apprentissages (dyslexie vs thada ou dysplasie…), entre troubles du comportement (opposition vs dépression…) ou entre items à priori indépendants (ainsi cyclothymie (4) vs dyslexie…).

L’existence de cette comorbidité quasi-systématique (3), tend à confirmer que les items DSM sont bien des symptômes et non des « maladies autonomes » et donc qu’il doit exister une pathologie primitive responsable de la survenue de ces symptômes.

Avshalom Caspi (2) parle de facteur p à propos de cette comorbidité « psychiatrique ».

Il est tentant de considérer que les troubles comportementaux sont secondaires aux troubles des apprentissages : la cyclothymie ne survient pas suite à la survenue d’une dyslexie (ce qui constituerait un effet secondaire de celle-ci) mais précède habituellement celle-ci ou au minimum survient en même temps.

Quelle pourrait être cette pathologie sous-jacente ?

Il faut peut-être inverser la causalité : et si le trouble de l’humeur induisait le trouble d’apprentissage ou comportemental ?

Spinoza (5) a montré que l’esprit humain est contrôlé par ses émotions avant toute intervention de la raison. La raison elle-même est sous influence des émotions, comme l’a rappelé brillamment Damasio (6) à propos des syndromes préfrontaux acquis et du cas Phineas Gage.

La régulation des émotions semble être un processus inné beaucoup plus que culturel transmis de façon familiale de nature polygénique (probablement > 1000 gènes impliqués).

Une mauvaise régulation émotionnelle est créatrice d’angoisse susceptible d’induire secondairement de façon inconsciente des comportements d’évitement de nature souvent hystérique (clash agressifs, inhibition de certains apprentissages, obsessions, dépression, …).

Le rétablissement d’une régulation harmonieuse des émotions serait susceptible d’inhiber ces comportements d’évitement.

Au total devant tout trouble d’apprentissage chez l’enfant, il faut :

• déterminer un indice de comorbidité comportementale (facteur p)

• si comorbidité, instituer une régulation médicamenteuse de l’humeur (antiépileptique) avant la prise en charge psychothérapeutique et/ou rééducation

• Suivre régulièrement l’indice de comorbidité ainsi que l’amélioration des troubles d’apprentissage afin d’adapter les traitements.

Références

1 – Robin Pauc : Is that my child ?, Virgin Books Ltd, 2006
2 – Avshalom Caspi and Terrie Moffit : All for One and One for All : mental disorders in one dimension, 2018, American Journal of Psychiatry
3 – Margari Lucia, Buttiglione Maura, Craig Francesco, Cristella Archangelo, de Giamattista Concetta, Matera Emilia, Operto Francesca and Simone Marta : Neuropsychopathological comorbidities in Learning disorders, BLC Neurology, 2013, 13 : 198
4 – Elie Hantouche, Barbara Houyvet, Caline Majdalani : Cyclothymie, J. Lyon, Paris, 2012 5 – Balthazar Thomas : Etre heureux avec Spinoza, Eyrolles, 2008
6 – Antonio R. Damasio : L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 2008

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