La cyclothymie rime souvent avec difficultés scolaires qui ne sont pas liées uniquement aux problèmes thymiques : manque d’attention, hyperactivité, dyslexie, dyscalculie, …
Ces difficultés peuvent aller jusqu’à l’échec scolaire, voire jusqu’au refus scolaire.
Aujourd’hui, beaucoup d’enfants reçoivent des diagnostics de troubles « multi-dys » et/ou de TDAH c’est-à-dire que plusieurs troubles importants des apprentissages structurels et durables ont été identifiés auxquels sont quasi systématiquement associés des difficultés à gérer les émotions.
Les émotions présentes dans les troubles d’apprentissage sont-elles de nature « bipolaire » et la cause ou conséquence des troubles d’apprentissages ?
Les troubles des apprentissages doivent-ils faire partie du panel de symptômes, à la fois signes d’appel et éléments du diagnostic, de la cyclothymie juvénile ?
On aime l’approche de Sylvie Jacques et Rémi Samier, orthophonistes qui nous font un état des lieux sur les différents troubles d’apprentissage. En effet, ils abordent non seulement les facteurs de risque, mais surtout les facteurs protecteurs sur lesquels on peut agir ! La recherche de solutions, c’est bien ce qui nous anime chez Bicycle !
DES TROUBLES DYS- AUX TROUBLES NEURODÉVELOPPEMENTAUX (TND)
Sylvie JACQUES et Rémi SAMIER
Orthophonistes, formateurs
et auteurs apstraco.fr
Pendant longtemps, on a parlé des dys- sans distinguer les dys-causes et les dys-conséquences.
Les dys-causes sont des anomalies cognitives résultant d’un dysfonctionnement des réseaux cérébraux, par exemple les dysphasies, dyspraxies, etc.
Les dys-conséquences sont les symptômes observables lors des apprentissages : les dyslexies, dysorthographies, dysgraphies, dyscalculies.
Dans le domaine des dys-, les conceptions, les terminolo- gies et les critères diagnostiques ont beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd’hui, un consensus international recommande l’utilisation des termes « troubles neurodéveloppementaux » (TND) dans lesquels les troubles dys-, qu’ils soient dys-causes ou dys-conséquences, sont inclus.
LES PRINCIPAUX TND
Les troubles neurodéveloppementaux résultent d’une atteinte du développement cérébral, ce qui affecte un ou plusieurs champs de la cognition (traitement cérébral de l’information impliqué notamment dans les apprentissages).
Les troubles neurodéveloppementaux sont fréquemment associés entre eux et peuvent résulter d’un ou plusieurs dysfonctionnements cognitifs.
Les TSA, Troubles du Spectre Autistique, affectent la communication et les interactions sociales. Ils se traduisent également par des intérêts restreints et des comportements répétitifs.
Les TDI, Troubles du Développement Intellectuel, correspondent à une limitation du fonctionnement intellectuel et des capacités d’adaptation dans la vie quotidienne.
Les TDL, Troubles Développementaux du Langage (ensemble de troubles du langage plus large que celui des dysphasies), se définissent par une atteinte significative et durable du langage oral qui peut toucher l’expression et/ou la compréhension.
Les TDC, Troubles Développementaux des Coordinations (dyspraxies et troubles des acquisitions motrices et des coordinations), affectent de façon significative et durable le développement des habiletés motrices et des coordinations.
Les TDAH, Troubles du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité, se caractérisent par trois catégories de symptômes : déficit d’attention, hyperactivité, impulsivité. Les TA, Troubles des Apprentissages, regroupent les troubles de la lecture, de l’orthographe, de l’écriture et des mathématiques.
Différentes critiques sont formulées par les professionnels au sujet de cette classification.
Premièrement, certains spécialistes du TDAH estiment que l’appellation « trouble du déficit de l’attention » n’est pas adaptée à la réalité des personnes présentant un TDAH car le trouble de l’attention n’est pas permanent, mais lié à un contexte stressant ou ennuyeux.
Deuxièmement, la classification de ces différents TND se fait à partir de l’observation des symptômes et des comportements et ne prend pas en compte l’analyse des causes cognitives qui peuvent expliquer ces symptômes. Comme les connaissances et les recherches sur ces domaines ne cessent d’avancer, il est vraisemblable que cette classification et les appellations des troubles conti- nueront d’évoluer dans le futur.
DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE DES TND
Il convient de consulter dès que des symptômes sont observés dans un ou plusieurs champs de la cognition: langage, communication, interactions, motricité, attention, apprentissages, etc. Certains symptômes peuvent être observés et pris en charge très tôt dans le développement (premiers mois de vie), d’autres apparaîtront plus tard (premières années de scolarisation) mais seront aussi à prendre en compte le plus tôt possible.
Il est important de prendre en charge ces troubles et de mettre en place les aménagements scolaires nécessaires, même si un diagnostic n’est pas encore posé. Le diagnostic des TND s’appuie sur une approche pluridisciplinaire, ce qui peut prendre du temps.
Ce diagnostic pluridisciplinaire permet d’effectuer un diagnostic différentiel (démarche pour écarter d’autres troubles présentant des symptômes proches) et de rechercher d’éventuels troubles associés (troubles anxieux, troubles de l’humeur, etc.).
Ce diagnostic pluridisciplinaire sert également à distin- guer les causes au niveau cognitif et les conséquences sur les apprentissages et sur la vie quotidienne.
En résumé, le diagnostic des TND s’appuie sur différentes étapes :
– analyser les symptômes et les comportements
– effectuer un diagnostic différentiel
– rechercher les causes des dysfonctionnements cognitifs sous-jacents
– évaluer le retentissement des troubles.
Pour éviter l’errance diagnostique et être accompagné dans le parcours de soins, il peut être intéressant de se rapprocher des associations de parents d’enfants avec TND, notamment lors des colloques organisés chaque année par ces associations dans différentes villes de France.
Au niveau des prises en charge, il existe différents types d’approches qui peuvent être associés entre eux.
La rééducation consiste en un entraînement des fonctions cognitives déficientes en vue d’une amélioration. L’approche métacognitive permet au patient de prendre conscience de ses difficultés et de leur répercussion, d’apprendre des stratégies pour y faire face, d’intérioriser des mécanismes de contrôle et des capacités d’autorégulation.
Si les progrès restent difficiles, des stratégies de compensation sont développées en s’appuyant sur la métacognition et sur des aides techniques ou humaines. Par exemple, l’écriture sur ordinateur peut être proposée pour pallier un trouble sévère du graphisme.
L’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) vise le développement de l’expertise (connaissances du trouble) et de l’autonomie chez le patient et son entourage pour améliorer la qualité de vie au quotidien. L’ETP est centrée sur le patient et non sur le trouble.
Il est important d’avoir une prise en charge pluridisciplinaire coordonnée pour définir les priorités thérapeutiques afin de ne pas surcharger la vie de l’enfant par de multiples rééducations.
VIVRE AVEC SON TND AU QUOTIDIEN
Les enfants passent une grande partie de leur vie à l’école. Pour un enfant avec un ou des TND, c’est le lieu où s’expriment tout particulièrement ses difficultés et la souffrance qui peut y être associée. Les difficultés scolaires, qui sont souvent au premier plan, amènent les parents à entamer une démarche diagnostique.
Les enseignants sont en première ligne pour le repérage des signes d’appel des TND. Cependant, il n’est pas toujours évident de savoir quelle conduite tenir…
En présence de signes d’appel, plusieurs principes s’imposent :
– Principe de sincérité : prévenir les parents qu’une consultation serait bénéfique auprès d’un médecin coordinateur (service de médecine scolaire, médecin traitant, pédiatre, pédopsychiatre, médecin de rééducation fonctionnelle, etc.).
– Principe de prudence : ne pas parler de dys- ou de TND, tant qu’un diagnostic n’est pas posé, mais de difficultés.
– Principe de mise en situation de réussite : proposer des stratégies et des aménagements pédagogiques quand les difficultés sont persistantes, même si un diagnostic n’est pas encore posé.
– Principe de bienveillance : croire en la bonne volonté de l’élève.
Le cerveau des enfants est en plein développement et est extrêmement sensible au manque de sommeil, à une mauvaise hygiène de vie et au stress. Pour inviter enfants et adultes à prendre soin de leur cerveau, on peut se référer aux ressources et à la vidéo proposées par « Un cerveau en pleine forme » de MyBrainRobbie.org, https://mybrainrobbie.org/fr/
Nos modes de vie sont parfois très éloignés des conseils donnés pour prendre soin de son cerveau, mais dans la mesure du possible, il est important de veiller :
– à un nombre d’heures de sommeil suffisant (3-5 ans = 11-13 h, 5-12 ans = 10-11 h, 12-18 ans = 8-10 h) pour consolider les apprentissages, faciliter la concentration et la régulation des émotions ;
– à une alimentation variée et équilibrée pour apporter au cerveau les nutriments dont il a besoin pour se développer;
– à des temps d’activités physiques, de loisirs et de jeux pour expérimenter et manipuler d’où une utilisation raisonnée et contrôlée des écrans ;
– à la prise en compte des situations de stress pour réduire leur impact sur le développement de l’enfant ;
– au maintien d’une ambiance bienveillante malgré les situations de crise.
En fonction des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne, un accompagnement par des professionnels peut être une aide.
Derrière les TND
Les TND peuvent être associés entre eux mais peuvent aussi être en lien avec d’autres troubles : épilepsie, syndromes génétiques, troubles anxieux, troubles de l’humeur, etc. Ces différents troubles peuvent se cacher les uns les autres en fonction des symptômes observés en premier lieu. Le diagnostic prend donc du temps et peut évoluer avec le développement de l’enfant. C’est un processus dynamique qui n’est pas figé.
Lorsque la situation stagne malgré les prises en charge, il peut être intéressant de poursuivre les investigations afin de ne pas passer à côté d’un trouble caché. Le danger est d’enfermer l’enfant dans des catégories, de rester sur des a priori ou des diagnostics antérieurs qui vont empêcher d‘aller plus loin dans la démarche diagnostique.
Une bonne analyse des facteurs de risque et de protection dont le bien-être de l’enfant dépend, permet de lutter contre l’immobilisme et le fatalisme : « la situation de cet enfant est inextricable », « on ne peut rien faire pour lui », etc.
Les facteurs de risque augmentent la probabilité d’apparition du trouble car l’accumulation des facteurs de risque dépasse les capacités de résilience (capacité à faire face aux difficultés de la vie) de l’enfant.
Exemples de facteurs de risque au niveau de l’individu :
– peu d’estime de soi
– troubles du langage
– maladies
– consommation de substances psychoactives
– sédentarité
– mauvaise alimentation
– troubles du sommeil
– troubles de l’humeur
– anxiété, stress
Exemples de facteurs de risque au niveau de l’environnement :
– isolement
– négligence, conflit familial
– maltraitance, violence
– difficultés scolaires
– faible statut socio-économique
– manque d’accès à des services de soutien
– stigmatisation et discrimination
Les facteurs de protection aident à prévenir le développement ou l’aggravation d’un trouble.
Exemples de facteurs de protection au niveau de l’individu :
– estime de soi, confiance
– qualités de communication
– bonne santé
– activité physique
– bonne alimentation
– sommeil de qualité
Exemples de facteurs de protection au niveau de l’environnement :
– soutien de la famille et des amis
– bonne interaction familiale
– sécurité physique et affective
– réussite scolaire
– sécurité économique
– accès à des services de soutien
– participation valorisée et sentiment d’appartenance
Cette approche permet aussi de cibler les priorités en développant des actions pour réduire les facteurs de risque mais aussi en favorisant l’émergence de facteurs de protection.
Souvent, les facteurs de protection sont négligés dans les modalités thérapeutiques au profit d’une analyse sur la nature des troubles ou sur un ciblage des facteurs de risque.
L’adoption précoce de facteurs de protection aide à gérer plus efficacement les facteurs de risque et à réduire le développement de problèmes qui affectent le bien-être des enfants.
Pour finir
Grâce à la recherche, les concepts, les diagnostics et les prises en charge des troubles neurodéveloppementaux ont évolué et continueront d’évoluer dans les années à venir. La médiatisation menée par les associations de parents et l’implication des enseignants ont contribué à la mise en place des aménagements et des compensations en classe. Même si des inégalités sont encore visibles, le quotidien et le bien-être des enfants présentant des TND s’améliorent.
Pour aller plus loin
Troubles dys- et troubles neurodéveloppementaux :
Conférence sur les troubles du neurodéveloppement par Vincent des Portes. Semaine du Cerveau 2019. (2019).
https://www.youtube.com/watch?v=v9PKDPHZwFo
Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l’enfant. Mazeau, M., & Pouhet, A. (2014). Paris : Elsevier Masson.
Difficultés scolaires ou troubles dys? Pouhet, A., & Cerisier-Pouhet, M. (2016). Retz.
Neuropsychologie et stratégies d’apprentissage. Samier, R., & Jacques, S. (2019). Paris : Tom Pousse.
Remédiation cognitive :
Rééducation cognitive chez l’enfant : Apport des neurosciences, méthodologie et pratiques. Seguin, C. (2018). Louvain-La-Neuve (Belgique) : De Boeck supérieur.
Analyse par facteurs de risque et par facteurs de protection :
La prise en charge des troubles du comportement du jeune enfant : Manuel à l’usage des praticiens. Roskam, I., Nader-Grosbois, N., Noël, M.-P., & Schelstraete, M.-A. (2017). Bruxelles : Mardaga.