CYCLOTHYMIE ET TROUBLES DES APPRENTISSAGES, QUEL LIEN ?

François-Xavier Coudé, Pédiatre

La cyclothymie (trouble de l’humeur) et les troubles des apprentissages (dyslexie, dysplasie, troubles d’atten- tion,…) sont des troubles du comportement de l’enfant habituellement diagnostiqués à l’aide d’un outil de classification américain, le DSM 5. Celui-ci définit les symptômes les plus fréquemment rencontrés dans ces pathologies et le diagnostic est porté si un nombre suffisant de ces symptômes est présent.

En fait, le raisonnement est un peu circulaire. Il est basé sur un consensus d’experts qui détermine les symptômes pertinents d’une pathologie et, si ces symptômes sont présents chez un patient, on considère qu’il a cette pathologie…

Cette classification permet d’étiqueter les patients, ce qui facilite le classement de ceux-ci, par exemple pour l’obtention d’une aide sociale ou scolaire ainsi que pour des essais thérapeutiques, ce qui peut expliquer le succès de ce type d’outils.

Mais le DSM 5 n’est pas un outil diagnostique et il ne permet pas de différencier symptômes et maladies.

L’étude des items DSM 5 chez un enfant consultant pour un trouble des apprentissages ou du comportement montre l’existence quasi-systématique de comorbidités (1,2,3) que ce soit entre trouble des apprentissages (dyslexie vs thada ou dysplasie…), entre troubles du comportement (opposition vs dépression…) ou entre items à priori indépendants (ainsi cyclothymie (4) vs dyslexie…).

L’existence de cette comorbidité quasi-systématique (3), tend à confirmer que les items DSM sont bien des symptômes et non des « maladies autonomes » et donc qu’il doit exister une pathologie primitive responsable de la survenue de ces symptômes.

Avshalom Caspi (2) parle de facteur p à propos de cette comorbidité « psychiatrique ».

Il est tentant de considérer que les troubles comportementaux sont secondaires aux troubles des apprentissages : la cyclothymie ne survient pas suite à la survenue d’une dyslexie (ce qui constituerait un effet secondaire de celle-ci) mais précède habituellement celle-ci ou au minimum survient en même temps.

Quelle pourrait être cette pathologie sous-jacente ?

Il faut peut-être inverser la causalité : et si le trouble de l’humeur induisait le trouble d’apprentissage ou comportemental ?

Spinoza (5) a montré que l’esprit humain est contrôlé par ses émotions avant toute intervention de la raison. La raison elle-même est sous influence des émotions, comme l’a rappelé brillamment Damasio (6) à propos des syndromes préfrontaux acquis et du cas Phineas Gage.

La régulation des émotions semble être un processus inné beaucoup plus que culturel transmis de façon familiale de nature polygénique (probablement > 1000 gènes impliqués).

Une mauvaise régulation émotionnelle est créatrice d’angoisse susceptible d’induire secondairement de façon inconsciente des comportements d’évitement de nature souvent hystérique (clash agressifs, inhibition de certains apprentissages, obsessions, dépression, …).

Le rétablissement d’une régulation harmonieuse des émotions serait susceptible d’inhiber ces comportements d’évitement.

Au total devant tout trouble d’apprentissage chez l’enfant, il faut :

• déterminer un indice de comorbidité comportementale (facteur p)

• si comorbidité, instituer une régulation médicamenteuse de l’humeur (antiépileptique) avant la prise en charge psychothérapeutique et/ou rééducation

• Suivre régulièrement l’indice de comorbidité ainsi que l’amélioration des troubles d’apprentissage afin d’adapter les traitements.

Références

1 – Robin Pauc : Is that my child ?, Virgin Books Ltd, 2006
2 – Avshalom Caspi and Terrie Moffit : All for One and One for All : mental disorders in one dimension, 2018, American Journal of Psychiatry
3 – Margari Lucia, Buttiglione Maura, Craig Francesco, Cristella Archangelo, de Giamattista Concetta, Matera Emilia, Operto Francesca and Simone Marta : Neuropsychopathological comorbidities in Learning disorders, BLC Neurology, 2013, 13 : 198
4 – Elie Hantouche, Barbara Houyvet, Caline Majdalani : Cyclothymie, J. Lyon, Paris, 2012 5 – Balthazar Thomas : Etre heureux avec Spinoza, Eyrolles, 2008
6 – Antonio R. Damasio : L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 2008

LES TROUBLES DYS

La cyclothymie rime souvent avec difficultés scolaires qui ne sont pas liées uniquement aux problèmes thymiques : manque d’attention, hyperactivité, dyslexie, dyscalculie, …
Ces difficultés peuvent aller jusqu’à l’échec scolaire, voire jusqu’au refus scolaire.

Aujourd’hui, beaucoup d’enfants reçoivent des diagnostics de troubles « multi-dys » et/ou de TDAH c’est-à-dire que plusieurs troubles importants des apprentissages structurels et durables ont été identifiés auxquels sont quasi systématiquement associés des difficultés à gérer les émotions.

Les émotions présentes dans les troubles d’apprentissage sont-elles de nature “bipolaire” et la cause ou conséquence des troubles d’apprentissages ?
Les troubles des apprentissages doivent-ils faire partie du panel de symptômes, à la fois signes d’appel et éléments du diagnostic, de la cyclothymie juvénile ?

On aime l’approche de Sylvie Jacques et Rémi Samier, orthophonistes qui nous font un état des lieux sur les différents troubles d’apprentissage. En effet, ils abordent non seulement les facteurs de risque, mais surtout les facteurs protecteurs sur lesquels on peut agir ! La recherche de solutions, c’est bien ce qui nous anime chez Bicycle !

DES TROUBLES DYS- AUX TROUBLES NEURODÉVELOPPEMENTAUX (TND)

Sylvie JACQUES et Rémi SAMIER
Orthophonistes, formateurs
et auteurs apstraco.fr

Pendant longtemps, on a parlé des dys- sans distinguer les dys-causes et les dys-conséquences.
Les dys-causes sont des anomalies cognitives résultant d’un dysfonctionnement des réseaux cérébraux, par exemple les dysphasies, dyspraxies, etc.

Les dys-conséquences sont les symptômes observables lors des apprentissages : les dyslexies, dysorthographies, dysgraphies, dyscalculies.

Dans le domaine des dys-, les conceptions, les terminolo- gies et les critères diagnostiques ont beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd’hui, un consensus international recommande l’utilisation des termes « troubles neurodéveloppementaux » (TND) dans lesquels les troubles dys-, qu’ils soient dys-causes ou dys-conséquences, sont inclus.

LES PRINCIPAUX TND

Les troubles neurodéveloppementaux résultent d’une atteinte du développement cérébral, ce qui affecte un ou plusieurs champs de la cognition (traitement cérébral de l’information impliqué notamment dans les apprentissages).

Les troubles neurodéveloppementaux sont fréquemment associés entre eux et peuvent résulter d’un ou plusieurs dysfonctionnements cognitifs.

Les TSA, Troubles du Spectre Autistique, affectent la communication et les interactions sociales. Ils se traduisent également par des intérêts restreints et des comportements répétitifs.

Les TDI, Troubles du Développement Intellectuel, correspondent à une limitation du fonctionnement intellectuel et des capacités d’adaptation dans la vie quotidienne.
Les TDL, Troubles Développementaux du Langage (ensemble de troubles du langage plus large que celui des dysphasies), se définissent par une atteinte significative et durable du langage oral qui peut toucher l’expression et/ou la compréhension.

Les TDC, Troubles Développementaux des Coordinations (dyspraxies et troubles des acquisitions motrices et des coordinations), affectent de façon significative et durable le développement des habiletés motrices et des coordinations.

Les TDAH, Troubles du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité, se caractérisent par trois catégories de symptômes : déficit d’attention, hyperactivité, impulsivité. Les TA, Troubles des Apprentissages, regroupent les troubles de la lecture, de l’orthographe, de l’écriture et des mathématiques.

Différentes critiques sont formulées par les professionnels au sujet de cette classification.
Premièrement, certains spécialistes du TDAH estiment que l’appellation « trouble du déficit de l’attention » n’est pas adaptée à la réalité des personnes présentant un TDAH car le trouble de l’attention n’est pas permanent, mais lié à un contexte stressant ou ennuyeux.

Deuxièmement, la classification de ces différents TND se fait à partir de l’observation des symptômes et des comportements et ne prend pas en compte l’analyse des causes cognitives qui peuvent expliquer ces symptômes. Comme les connaissances et les recherches sur ces domaines ne cessent d’avancer, il est vraisemblable que cette classification et les appellations des troubles conti- nueront d’évoluer dans le futur.

DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE DES TND

Il convient de consulter dès que des symptômes sont observés dans un ou plusieurs champs de la cognition: langage, communication, interactions, motricité, attention, apprentissages, etc. Certains symptômes peuvent être observés et pris en charge très tôt dans le développement (premiers mois de vie), d’autres apparaîtront plus tard (premières années de scolarisation) mais seront aussi à prendre en compte le plus tôt possible.

Il est important de prendre en charge ces troubles et de mettre en place les aménagements scolaires nécessaires, même si un diagnostic n’est pas encore posé. Le diagnostic des TND s’appuie sur une approche pluridisciplinaire, ce qui peut prendre du temps.

Ce diagnostic pluridisciplinaire permet d’effectuer un diagnostic différentiel (démarche pour écarter d’autres troubles présentant des symptômes proches) et de rechercher d’éventuels troubles associés (troubles anxieux, troubles de l’humeur, etc.).

Ce diagnostic pluridisciplinaire sert également à distin- guer les causes au niveau cognitif et les conséquences sur les apprentissages et sur la vie quotidienne.

En résumé, le diagnostic des TND s’appuie sur différentes étapes :
– analyser les symptômes et les comportements
– effectuer un diagnostic différentiel

– rechercher les causes des dysfonctionnements cognitifs sous-jacents
– évaluer le retentissement des troubles.

Pour éviter l’errance diagnostique et être accompagné dans le parcours de soins, il peut être intéressant de se rapprocher des associations de parents d’enfants avec TND, notamment lors des colloques organisés chaque année par ces associations dans différentes villes de France.

Au niveau des prises en charge, il existe différents types d’approches qui peuvent être associés entre eux.
La rééducation consiste en un entraînement des fonctions cognitives déficientes en vue d’une amélioration. L’approche métacognitive permet au patient de prendre conscience de ses difficultés et de leur répercussion, d’apprendre des stratégies pour y faire face, d’intérioriser des mécanismes de contrôle et des capacités d’autorégulation.

Si les progrès restent difficiles, des stratégies de compensation sont développées en s’appuyant sur la métacognition et sur des aides techniques ou humaines. Par exemple, l’écriture sur ordinateur peut être proposée pour pallier un trouble sévère du graphisme.

L’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) vise le développement de l’expertise (connaissances du trouble) et de l’autonomie chez le patient et son entourage pour améliorer la qualité de vie au quotidien. L’ETP est centrée sur le patient et non sur le trouble.

Il est important d’avoir une prise en charge pluridisciplinaire coordonnée pour définir les priorités thérapeutiques afin de ne pas surcharger la vie de l’enfant par de multiples rééducations.

VIVRE AVEC SON TND AU QUOTIDIEN

Les enfants passent une grande partie de leur vie à l’école. Pour un enfant avec un ou des TND, c’est le lieu où s’expriment tout particulièrement ses difficultés et la souffrance qui peut y être associée. Les difficultés scolaires, qui sont souvent au premier plan, amènent les parents à entamer une démarche diagnostique.

Les enseignants sont en première ligne pour le repérage des signes d’appel des TND. Cependant, il n’est pas toujours évident de savoir quelle conduite tenir…

En présence de signes d’appel, plusieurs principes s’imposent :

– Principe de sincérité : prévenir les parents qu’une consultation serait bénéfique auprès d’un médecin coordinateur (service de médecine scolaire, médecin traitant, pédiatre, pédopsychiatre, médecin de rééducation fonctionnelle, etc.).

– Principe de prudence : ne pas parler de dys- ou de TND, tant qu’un diagnostic n’est pas posé, mais de difficultés.

– Principe de mise en situation de réussite : proposer des stratégies et des aménagements pédagogiques quand les difficultés sont persistantes, même si un diagnostic n’est pas encore posé.

– Principe de bienveillance : croire en la bonne volonté de l’élève.

Le cerveau des enfants est en plein développement et est extrêmement sensible au manque de sommeil, à une mauvaise hygiène de vie et au stress. Pour inviter enfants et adultes à prendre soin de leur cerveau, on peut se référer aux ressources et à la vidéo proposées par « Un cerveau en pleine forme » de MyBrainRobbie.org, https://mybrainrobbie.org/fr/

Nos modes de vie sont parfois très éloignés des conseils donnés pour prendre soin de son cerveau, mais dans la mesure du possible, il est important de veiller :

– à un nombre d’heures de sommeil suffisant (3-5 ans = 11-13 h, 5-12 ans = 10-11 h, 12-18 ans = 8-10 h) pour consolider les apprentissages, faciliter la concentration et la régulation des émotions ;

– à une alimentation variée et équilibrée pour apporter au cerveau les nutriments dont il a besoin pour se développer; 

– à des temps d’activités physiques, de loisirs et de jeux pour expérimenter et manipuler d’où une utilisation raisonnée et contrôlée des écrans ;

– à la prise en compte des situations de stress pour réduire leur impact sur le développement de l’enfant ;

– au maintien d’une ambiance bienveillante malgré les situations de crise.

En fonction des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne, un accompagnement par des professionnels peut être une aide.

Derrière les TND

Les TND peuvent être associés entre eux mais peuvent aussi être en lien avec d’autres troubles : épilepsie, syndromes génétiques, troubles anxieux, troubles de l’humeur, etc. Ces différents troubles peuvent se cacher les uns les autres en fonction des symptômes observés en premier lieu. Le diagnostic prend donc du temps et peut évoluer avec le développement de l’enfant. C’est un processus dynamique qui n’est pas figé.

Lorsque la situation stagne malgré les prises en charge, il peut être intéressant de poursuivre les investigations afin de ne pas passer à côté d’un trouble caché. Le danger est d’enfermer l’enfant dans des catégories, de rester sur des a priori ou des diagnostics antérieurs qui vont empêcher d‘aller plus loin dans la démarche diagnostique.

Une bonne analyse des facteurs de risque et de protection dont le bien-être de l’enfant dépend, permet de lutter contre l’immobilisme et le fatalisme : « la situation de cet enfant est inextricable », « on ne peut rien faire pour lui », etc.

Les facteurs de risque augmentent la probabilité d’apparition du trouble car l’accumulation des facteurs de risque dépasse les capacités de résilience (capacité à faire face aux difficultés de la vie) de l’enfant.

Exemples de facteurs de risque au niveau de l’individu : 

– peu d’estime de soi

– troubles du langage

– maladies

– consommation de substances psychoactives

– sédentarité

– mauvaise alimentation

– troubles du sommeil

– troubles de l’humeur

– anxiété, stress

 

Exemples de facteurs de risque au niveau de l’environnement :

– isolement

– négligence, conflit familial

– maltraitance, violence

– difficultés scolaires

– faible statut socio-économique

– manque d’accès à des services de soutien

– stigmatisation et discrimination

 

Les facteurs de protection aident à prévenir le développement ou l’aggravation d’un trouble.

 

Exemples de facteurs de protection au niveau de l’individu :

– estime de soi, confiance

– qualités de communication

– bonne santé

– activité physique

– bonne alimentation

– sommeil de qualité

 

Exemples de facteurs de protection au niveau de l’environnement :

– soutien de la famille et des amis

– bonne interaction familiale

– sécurité physique et affective

– réussite scolaire

– sécurité économique

– accès à des services de soutien

– participation valorisée et sentiment d’appartenance

 

Cette approche permet aussi de cibler les priorités en développant des actions pour réduire les facteurs de risque mais aussi en favorisant l’émergence de facteurs de protection.

Souvent, les facteurs de protection sont négligés dans les modalités thérapeutiques au profit d’une analyse sur la nature des troubles ou sur un ciblage des facteurs de risque.

L’adoption précoce de facteurs de protection aide à gérer plus efficacement les facteurs de risque et à réduire le développement de problèmes qui affectent le bien-être des enfants.

 

Pour finir

Grâce à la recherche, les concepts, les diagnostics et les prises en charge des troubles neurodéveloppementaux ont évolué et continueront d’évoluer dans les années à venir. La médiatisation menée par les associations de parents et l’implication des enseignants ont contribué à la mise en place des aménagements et des compensations en classe. Même si des inégalités sont encore visibles, le quotidien et le bien-être des enfants présentant des TND s’améliorent.

Pour aller plus loin

Troubles dys- et troubles neurodéveloppementaux :

Conférence sur les troubles du neurodéveloppement par Vincent des Portes. Semaine du Cerveau 2019. (2019).

https://www.youtube.com/watch?v=v9PKDPHZwFo

Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l’enfant. Mazeau, M., & Pouhet, A. (2014). Paris : Elsevier Masson.

Difficultés scolaires ou troubles dys? Pouhet, A., & Cerisier-Pouhet, M. (2016). Retz.

Neuropsychologie et stratégies d’apprentissage. Samier, R., & Jacques, S. (2019). Paris : Tom Pousse.

Remédiation cognitive :

Rééducation cognitive chez l’enfant : Apport des neurosciences, méthodologie et pratiques. Seguin, C. (2018). Louvain-La-Neuve (Belgique) : De Boeck supérieur.

Analyse par facteurs de risque et par facteurs de protection :

La prise en charge des troubles du comportement du jeune enfant : Manuel à l’usage des praticiens. Roskam, I., Nader-Grosbois, N., Noël, M.-P., & Schelstraete, M.-A. (2017). Bruxelles : Mardaga.

Quelle place pour le médecin généraliste dans la prise en charge des troubles bipolaires juvéniles

Éléna Picq, médecin généraliste.
Après des études de médecine à la faculté de Saint-Étienne, Éléna Picq fait son internat à l’hôpital de Saint-Pierre sur l’île de La Réunion où elle décide de s’installer. Elle y ouvre son cabinet en mai 2012.

Le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux en 10 ans. L’hôpital public est au bord de l’implosion… Encore davantage fragilisés par la crise sanitaire, de nombreux hôpitaux en France ne prennent même plus sur liste d’attente les enfants qui dépendent de leur sectorisation ! Pourtant le recours aux urgences pour troubles de l’humeur pour les enfants de moins de 15 ans a augmenté de 40% fin 2020 (source : tweet Adrien Taquet du 26 juillet 2020).
 L’équation est donc insoluble ! A moins que ceux qui sont en première ligne comme les médecins généralistes ou les pédiatres se saisissent du problème. Si les parents parviennent à se renseigner et à devenir expert du trouble de leur enfant, un médecin peut aussi le faire.  Il peut aller bien au-delà d’une simple sensibilisation avec redirection vers des confrères spécialisés qui ne prendront probablement plus de nouveaux patients ou dont la liste d’attente sera de plusieurs mois voire années ! Contrairement aux idées reçues, la pose d’un diagnostic de cyclothymie chez l’enfant et la mise en place d’une prise en charge nécessitent rarement une hospitalisation d’autant plus lorsque la prise en charge est précoce et ne se complique pas de nombreuses comorbidités. En tant que médecin généraliste ou pédiatre de ville vous avez les qualifications pour faire de la pédopsychiatrie. Certes cela va vous prendre du temps : du temps de formation, de réflexion et de consultation, mais ce sera du temps de gagné pour les prochaines consultations et une telle satisfaction pour vous d’aider un enfant et une famille. Vous serez probablement surpris de l’efficacité de la prise en charge.
 Notre premier conseil, c’est de croire les parents qui viendront à vous. Ne les obligez pas à filmer leurs enfants en crise. Écoutez-les et aidez-les à soigner leur enfant. Comme les parents, nous avons conscience que vous palliez à la défaillance du système de santé mais les enfants ont besoin de vous ! Éléna Picq, médecin généraliste vous explique ici le b. a.-ba pour vous lancer !
Parents, votre médecin de famille est votre premier allié, souvent il vous suit depuis longtemps et vous lui faites confiance. C’est aussi lui qui connaît le mieux votre famille et votre histoire médicale, n’hésitez pas à le solliciter ! 

Je suis médecin généraliste et je suis aussi maman de 3 enfants dont un enfant de 11 ans qui a un diagnostic de trouble bipolaire depuis février 2021. 

J’ai écrit cet article pour essayer d’aider les parents et les médecins généralistes qui voudraient prendre en charge des enfants avec des troubles bipolaires. 

Je propose donc ici des outils pour mes confrères. Je partage mon expérience personnelle en tant que maman et mon expérience en tant que médecin généraliste qui prend en charge des patients bipolaires enfants ou adultes. Je partage aussi les connaissances théoriques que j’ai pu acquérir en lisant des livres, articles ou sites internet. 

Avant de commencer la lecture de cet article, je voulais préciser que celui-ci n’engage que moi et donc n’est pas une synthèse de recommandations officielles. 

Le rôle du médecin généraliste

De manière générale, le médecin généraliste est un médecin dit de premier recours. C’est-à-dire que les patients sont sensés le consulter en premier, quel que soit le problème de santé qu’ils rencontrent. Dans l’immense majorité des cas, le médecin généraliste est compétent pour traiter ses patients : il les interroge, les examine, prescrit des examens complémentaires, prescrit les traitements, médicamenteux ou non. Quand il n’arrive pas à soigner son patient parce qu’il n’a pas les connaissances requises, il demande l’avis d’un confrère spécialiste en faisant un courrier. Le médecin spécialiste traite le patient et s’il n’y arrive pas, il adresse le patient à un centre expert.

En tant que médecins généralistes notre rôle n’est pas de prendre en charge des pathologies sévères qui nécessitent qu’un patient soit poly-médicamenté, encore moins en pédiatrie. Cependant, nous avons largement les compétences pour prendre en charge les formes légères ou modérées de la maladie bipolaire.

Les médecins (généralistes ou spécialistes) passent leur temps à se former ou à approfondir leurs connaissances dans les différentes spécialités médicales. Si votre médecin généraliste est intéressé par le trouble bipolaire de l’enfant, il peut se documenter par lui-même et devenir alors suffisamment compétent pour prescrire un régulateur de l’humeur puisque la loi ne l’interdit pas. Toutes les informations concernant la prescription d’un médicament sont notées dans le Vidal et les médecins généralistes ont le même Vidal que les spécialistes (il existe toutefois une exception pour le valproate chez les filles et le méthylphénidate, qui ne peuvent être prescrits que par des spécialistes).

Ainsi vous pouvez parfaitement demander à votre médecin généraliste de vous aider pour la prise en charge de votre enfant bipolaire. Il pourra ajuster les traitements en cas d’effets indésirables et appeler lui-même le psychiatre s’il considère que l’avis de ce dernier est urgent. Il peut aussi assurer le suivi global de l’enfant : poids/taille/ auscultation cardiaque…

Le médecin généraliste peut aussi remplir le certificat médical demandé par la MDPH. La reconnaissance par la MDPH du handicap de l’enfant permet de bénéficier d’aide humaine (AESH) ou financière pour la prise en charge globale de l’enfant (frais de garde, frais de psychothérapie…). Le médecin doit décrire les symptômes de l’enfant. Même sans diagnostic il est possible d’avoir une reconnaissance. Le médecin peut spécifier qu’un avis spécialisé est demandé et que la famille est dans l’attente d’un diagnostic, mais que le handicap de l’enfant est réel.

 

Un petit point d’épidémiologie afin d’appréhender l’ampleur du problème :

En France, la prévalence (c’est-à-dire le nombre total de patients à un moment donné) du trouble bipolaire est estimée autour de 1 à 2,5 % dans les études en population générale. Cette prévalence est très certainement largement sous-évaluée.

Si l’un des parents souffre d’un trouble bipolaire, le risque qu’un des enfants en soit atteint est d’environ 20 %. Si le père et la mère ont chacun un trouble bipolaire, ce risque monte à 50–60 %.

Le trouble bipolaire est une maladie grave : 1500 décès par an par suicide. A cela, il convient d’ajouter les décès par accident (les patients bipolaires en phase maniaque y sont plus exposés) ainsi que l’aggravation du pronostic d’autres maladies (en cas de comorbidité) et les accidents iatrogènes (L’accident iatrogène désigne l’effet indésirable d’un médicament qui met en danger la vie du patient). Les patients bipolaires souffrent aussi plus souvent d’addictions.

Quels enfants prendre en charge ?

Je pense qu’il y a trois situations types où le médecin généraliste peut être amené à prendre en charge un enfant bipolaire :

La 1ère, c’est un enfant qui présente des symptômes de trouble bipolaire. La 2ème est un enfant chez qui les parents suspectent un trouble bipolaire : soit parce qu’il y a des membres de la famille qui souffrent de bipolarité, soit parce qu’ils se sont documentés. Enfin la 3ème est un enfant déjà suivi en psychiatrie mais dont l’état de santé ne s’améliore pas. Le médecin traitant est alors un relai essentiel pour discuter avec le médecin spécialiste du diagnostic et du traitement. 

 
La difficulté de la prise en charge du trouble

Le retard diagnostic :

Il peut s’écouler de 8 à 10 ans entre le premier épisode thymique majeur (dépressif, hypomaniaque, maniaque ou mixte) et le diagnostic correct de troubles bipolaires associé à la prescription d’un régulateur de l’humeur. Ainsi certains psychiatres attendent de « voir » de leurs propres yeux soit un épisode maniaque, soit plusieurs épisodes dépressifs. Ils négligent alors la recherche à l’interrogatoire des antécédents thymiques des patients. C’est un peu comme si un patient se présentait dans un cabinet de médecin en disant que la veille, il a présenté un déficit moteur du côté gauche pendant 30 minutes et que le médecin le renvoie chez lui parce que l’examen est normal au cabinet ! Un accident ischémique transitoire (AIT) est une urgence neuro-vasculaire au même titre que l’accident vasculaire cérébral (AVC) et on ne va pas attendre l’hémiplégie constituée pour prendre en charge ce patient…

Chez l’enfant le retard diagnostic est aussi dû à une présentation clinique qui ne ressemble pas totalement au trouble bipolaire de l’adulte. Cependant, d’après Hättenschwiler et al. en 2009, la maladie bipolaire commence avant la 20e année chez 40 % à 60 % des patients, et même avant la 12e année chez 10 % à 20 % des patients. En moyenne, les premiers symptômes se manifestent à 15 ans environ. La pose du diagnostic est souvent compliquée chez les adolescents du fait que leurs variations d’humeur sont considérées comme normales à la puberté.

 

Collage : Solange Gautier - Copyright - Aimablement prêté à Association Bicycle. https://solange-gautier.photoshelter.com/index

C’est le regard des autres qui transforme les diagnostics en étiquettes,
par méconnaissance du trouble.

Le trouble bipolaire chez l’enfant n’est pas impossible à prendre en charge. La difficulté est plutôt dans la méconnaissance du trouble chez les professionnels plutôt que dans son incurabilité. De plus, certains pédopsychiatres ou psychiatres ont une approche plus psychanalytique et d’autres une approche plus neurocognitive. D’ailleurs, une psychiatre m’a dit récemment à propos d’une de mes patientes adultes : «vous pourrez trouver un psychiatre qui dira qu’elle est bipolaire et un autre psychiatre qui vous dira qu’elle n’est pas bipolaire, ça dépend de sa formation et de sa sensibilité». Prenons l’exemple d’un enfant qui a un trouble du comportement et une mère dépressive. On peut dire que cet enfant est agité, parce que sa mère s’occupe mal de lui. Sa mère serait donc responsable du comportement de l’enfant par sa mauvaise éducation. On peut aussi dire que l’enfant est agité parce qu’il présente un trouble bipolaire génétiquement transmis par sa mère. 

La bonne voie est celle qui amène à une amélioration de l’état de santé du patient. Une voie n’exclue pas forcément l’autre. Il appartient à chaque médecin de garder un point de vue critique sur sa prise en charge. Il faut savoir aussi demander conseil à des confrères en cas d’impasse.

C’est aussi surtout et à cause de ce problème de «sensibilité» que le rôle du médecin généraliste est primordial car certains enfants n’auront pas de diagnostic et donc pas de traitement. De plus certains soignants considèrent que l’enfant a un cerveau en formation et qu’il faut donc attendre avant de poser un diagnostic («étiquette» diront certains). Mais pendant ce temps d’attente, l’enfant et sa famille souffrent et la maladie de l’enfant s’aggrave. 

Dans ces cas-là, le médecin généraliste peut et doit prendre l’enfant en charge.

Et voilà le mot «étiquette» arrive dans la discussion. Ce mot, on le lit souvent dans les commentaires « facebook ». Je tiens à rappeler qu’un diagnostic n’est pas une étiquette, un diagnostic c’est le début d’une prise en charge adaptée. Comment soigner un patient si on ne connait pas son diagnostic ? Si vous avez un patient avec une glycémie à jeun à 2g/l, il va bien falloir lui dire qu’il a un diabète. Ce n’est pas une étiquette, c’est un diagnostic. C’est le regard des autres qui transforme les diagnostics en étiquettes, par méconnaissance du trouble. Les médecins ne mettent pas des étiquettes, ils soignent les patients avec empathie et respect.

Quand suspecter un trouble bipolaire ?

Vous avez un petit patient qui a un trouble du comportement avec des colères violentes, ou un petit patient avec des idées morbides, ou qui a une réduction du temps de sommeil sans fatigue, ou une hypersexualité inadaptée pour son âge, ou un petit patient qui a déjà un diagnostic de haut potentiel (HP) ou du trouble du spectre de l’autisme (TSA) ou du trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), mais la prise en charge n’est pas efficace. Dans toutes ces situations il faut envisager un trouble bipolaire.

Plus il y a de symptômes, plus la probabilité d’un trouble bipolaire est grande.

Le diagnostic de bipolarité est aussi à suspecter si l’enfant a déjà le diagnostic d’un trouble (TSA, HP ou TDAH) mais ce trouble est qualifié de «sévère» ou «atypique» ou «résistant au méthylphénidate», ou «avec un effet rebond au méthylphénidate» ou «compliqué de trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et/ou trouble obsessionnel-compulsif (TOC) et/ou trouble anxieux, et/ou phobies et/ou attaque de panique». Pour résumer, plus il y a de symptômes, plus la probabilité d’un trouble bipolaire est grande.

Il se peut aussi que vous ayez un patient dont un membre de la fratrie a un diagnostic de trouble bipolaire et vous suspectez ce même trouble chez votre patient, même si le trouble semble moins sévère. Par exemple un enfant est suivi pour TDAH+TOP+TOC et les parents vous emmènent son grand frère qui fait une «crise d’adolescence» : celui-ci reste au lit la journée, n’a plus goût à rien… Il présente parfois des crises de colères et devient très irritable, tout est nul et tout l’ennuie (phase basse puis état mixte).

Comment confirmer votre diagnostic ?

1/ Rechercher les antécédents familiaux de troubles de l’humeur, diagnostiqués ou non (tentative de suicide dans la famille, addictions, personnes lunatiques, colériques, dépressives…).

2/ Les diagnostics psychiatriques se font selon le DSM V. Des questionnaires peuvent permettre de faire préciser les troubles, les symptômes et les idées de l’enfant car les items du DSM sont assez flous et il peut être difficile de faire le lien entre les plaintes des parents et les critères du DSM V. Les enfants présentent le plus souvent un trouble bipolaire de type cyclothymique. 

3/ On peut aussi utiliser des questionnaires spécifiques aux enfants :

– Check-list de la bipolarité juvénile (Hantouche).

– Inventaire de la dépression chez l’enfant (Kovaks & Beck).

– ADRS-Échelle de repérage de la dépression de l’adolescent 

   (Revah-Levy, Birmahaer, Gasquet, Falissard).

– CBQ-Child bipolar questionnaire (Papolos).

– Échelle de la manie chez l’enfant (Version française Kochman).

– Auto-questionnaire de la cyclothymie chez l’adolescent (Akiskal, Hantouche).

4/ Les diagnostics différentiels peuvent être aussi des diagnostics comorbides. D’ailleurs, la cyclothymie est souvent compliquée par d’autres troubles, par exemple cyclothymie et TDAH sont très fréquents chez les garçons. Dans ces cas-là, le trouble bipolaire est à prendre en charge en premier.

 

Les Traitements du trouble bipolaire
 

1/ Traitement psychothérapeutique

– La psychoéducation : pour les parents et pour l’enfant en âge de comprendre, la psychoéducation c’est apprendre ce qu’est la maladie, comment elle fonctionne, comment reconnaître un début de phase maniaque ou dépressive et comment faire en sorte de les stopper.

C’est l’adaptation de l’éducation à l’enfant 
qui va être la base de l’amélioration des symptômes.

Pour les parents c’est apprendre à éduquer un enfant particulier. L’enfant n’est pas malade à cause de leur éducation qui serait mauvaise, mais c’est l’adaptation de l’éducation à l’enfant qui va être la base de l’amélioration des symptômes.  La clé : mettre des mots sur les émotions et les chercher derrière le trouble du comportement. L’enfant crie et se met en colère parce que le parent lui demande d’aller se laver les dents ! Le problème n’est pas le lavage des dents. Il faut savoir pourquoi : le dentifrice n’est pas à son goût, il «pique», la brosse à dent est trop dure, il a peur de frotter trop fort et de faire tomber ses dents, il a vu sur YouTube que des «méchants» mettaient des produits toxiques dans les dentifrices…

Par exemple : souvent mon fils rentre de l’école en colère. Rien ne va. Il râle, pince sa sœur, enchaîne les bêtises. Alors je cherche ce qui ne va pas : « Il y a un problème ? » « Comment je peux faire pour t’aider ? ». Bien souvent, lui-même n’arrive pas à mettre le doigt dessus et c’est souvent lors du coucher, quand il s’apaise qu’il me dit : « Tu sais à l’école, machin a dit que j’étais gros ». Maintenant, avec le traitement, l’intensité émotionnelle étant moins forte, il arrive à exprimer plus facilement le problème, dès son arrivée à la maison. Cela permet de chercher une solution et d’arrêter la crise de colère qui monte.

Pour s’auto-éduquer, on peut aussi s’appuyer sur plusieurs livres. Le premier est une bande dessinée qui s’appelle «Goupil ou face» de Lou Lubie (éd. Delcourt). L’autrice y raconte son trouble mais explique aussi ce qu’est la maladie. Il peut être lu par l’enfant ou l’adolescent lui-même, accompagné d’un adulte. Le 2ème livre que je conseille, c’est «Vivre heureux avec des hauts et des bas» du Dr Élie Hantouche et de Vincent Trybou (éd. Odile Jacob) qui explique de façon plus détaillée ce qu’est la maladie. La 2e partie du livre donne des conseils pratiques à mettre en place au quotidien pour garder son humeur stable. 

• La thérapie comportementale et cognitive (TCC) : c’est l’enfant qui travaille avec le psychologue. La TCC vise à modifier les comportements qui vont ensuite modifier le fonctionnement cognitif. Par exemple, mon fils a tendance à exploser quand on l’embête et à taper, c’est donc toujours lui qui se fait punir à l’école. Le psychologue m’a demandé de l’embêter à la maison, car quand c’est moi qui le fais, il se sent moins agressé et on peut donc travailler sur son comportement puisque l’intensité de son émotion est moins forte. Ainsi, quand il commence à se mette en colère, j’en rajoute un peu. Par exemple : il voulait se resservir et j’ai dit : « Attention Malo, je vais t’embêter et il va falloir te contrôler : ah non Malo, tu ne vas pas te resservir, tu as vu comme tu es gros déjà ! « Je lui touche le ventre (il n’aime pas ça), je frotte ses cheveux et j’en rajoute encore et encore et ensuite je le félicite d’avoir bien tenu et de ne pas s’être emporté. Avec mon fils, ce genre d’exercice n’est possible qu’avec le traitement.

Mon fils a aussi beaucoup d’angoisses et il a du mal à rester dans sa chambre car il voit des zombies. Il a 10 ans, mais est rassuré si sa sœur de 6 ans l’accompagne. Le psychologue lui a fait remarquer que si sa sœur de 6 ans, qui a beaucoup moins de muscles que lui, pouvait le protéger, alors, il pouvait se protéger tout seul. Maintenant, quand il a peur, je lui dis : « Vas-y Malo, protège-toi tout seul» ! J’avoue que ça ne fonctionne pas à tous les coups car il est vraiment très angoissé. Avant le traitement, il faisait des attaques de panique terribles où il se mettait à hurler et descendait les escaliers, affolé : j’ai souvent eu peur qu’il se fasse très mal.

Mon fils ne va pas aux séances de psychothérapie avec beaucoup de motivation. Cela fait un an qu’il prend le bon traitement, mais 6 ans qu’il voit des psychologues. Cependant, un soir, il faisait nuit, j’étais au fond du jardin et il est venu me rejoindre. Surprise je lui dis : « C’est bien Malo, tu n’as pas peur ? ». Il me répond : « Le psy c’est nul, mais c’est bien ».

2/ Traitements médicamenteux

Chez un enfant qui présente des troubles modérés, il est possible de mette en place une psychothérapie et d’envisager par la suite un traitement médicamenteux si la psychothérapie ne suffit pas. Chez un enfant qui présente des troubles sévères et qui passe de la colère aux idées noires, de l’euphorie au désespoir, alors il faudra mettre en place un traitement en même temps que la psychothérapie. Le cerveau de l’enfant ne sera pas réceptif aux conseils s’il est trop malade. Par exemple, quand mon fils avait des attaques de panique il me disait : « Maman, je sais que le zombie n’existe pas, mais je le vois entrer par la fenêtre, j’entends sa cape qui frotte le sol, je sens son souffle sur moi ». A ce stade, tant que l’intensité ressentie est si forte, les mots sont inutiles. On a besoin de médicaments qui baissent le seuil de déclenchement et l’intensité de la panique avant tout.

Il n’y a pas de posologie type dans les troubles bipolaires :
l’objectif étant de rester à la posologie minimum efficace.

Malheureusement actuellement aucune molécule n’a l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France pour la prise en charge au long cours du trouble bipolaire chez l’enfant. Cela est aussi vrai pour de nombreuses autres pathologies en pédiatrie. D’ailleurs selon le conseil de l’ordre des médecins, en 2018, la proportion des prescriptions hors AMM en pédiatrie hospitalo-universitaire est de 80%.

Voici les règles de la prescription hors AMM : il est possible de prescrire une molécule hors AMM s’il n’existe pas de molécule équivalente pour traiter le patient. 

Chez l’adulte, la seule molécule qui ait montré une diminution de la mortalité liée au suicide chez les patients bipolaires est le lithium. Le valproate est indiqué en 2e intention (contre-indication chez les femmes en âge de procréer sans contraception efficace).

La lamotrigine est indiquée dans les troubles bipolaires de type 2 ou les cyclothymies plus dépressives.

L’avantage du valproate et de la lamotrigine est qu’ils ont l’AMM chez les enfants à partir de 2 ans dans l’épilepsie. Ainsi, même si l’indication est différente, les posologies, les effets indésirables et la surveillance clinico-biologique sont les mêmes. Parmi les antiépileptiques, le valproate est le plus efficace. Il existe sous forme de sachet de poudre à disperser sur une cuillère de compote ou de yaourt. 

Comme tous les médicaments le valproate peut avoir des effets indésirables, la revue «Prescrire» indique qu’une partie de ses effets indésirables seraient expliqués par le fait qu’il aurait un effet perturbateur endocrinien (exemple : prise de poids). Malgrè cela cette même revue le préconise en première intention dans l’épilepsie où il garde une balance bénéfices/risques favorable.

Le lithium est déconseillé, mais pas contre-indiqué, chez l’enfant de moins de 16 ans. Des études ont cependant été faites avec des prescriptions de lithium chez des enfants à partir de 5 ans. Le lithium était d’ailleurs la molécule de référence dans l’agressivité chez l’enfant avant l’arrivée des neuroleptiques. Il semble plus efficace que le risperidone (nom commercial : Risperdal). Son inconvénient est qu’il nécessite des bilans sanguins fréquents. Cependant, comme les autres molécules, il peut être efficace à petites doses, et cela permet d’être loin des doses toxiques. Classiquement, les objectifs de lithémie sont entre 0,5 et 0,8 mmol/L, 12h après la prise du dernier comprimé de lithium à libération immédiate. Cependant, à l’association, plusieurs enfants ont été améliorés avec des lithémies inférieures. 

Il me semble que le lithium soit une molécule trop peu utilisée chez l’enfant. J’ai récemment demandé à la revue «Prescrire» s’il lui était possible de faire un point sur les différentes études qui existent à ce sujet. Il existe cependant des articles de synthèse. La dernière que j’ai trouvée date de 2018 : Using Lithium in Children and Adolescents with Bipolar Disorder: Efficacy, Tolerability, and Practical Considerations B. Grant, J. A. Salpekar  Springer International Publishing AG, part of Springer Nature 2018.  Dans cet article, les auteurs font une synthèse des publications des 10 dernières années. Dans le trouble bipolaire de type 1, en cas de manie aigüe ou d’états mixtes, les auteurs recommandent de débuter le lithium à 300 mg par jour pour les enfants de moins de 30 kg et 300 mg deux fois par jour pour les enfants de plus de 30 kg (sauf chez les enfants obèses). Dans les cas moins sévères, ils proposent de débuter à 10mg/kg/j. En pratique, ambulatoire, il parait plus judicieux de débuter avec une dose inférieure, par exemple, 125 mg le soir, puis 125, matin et soir et augmenter ainsi de suite, selon l’efficacité et la tolérance du traitement. J’ai peu d’expérience, mais mes patients adultes décrivent un début d’amélioration au bout de 4 jours. Chez mon fils, à chaque fois qu’on augmentait la dose, on avait une efficacité au bout de quelques jours aussi. L’efficacité se remarque par un effet de butée, comme si, alors que la colère monte, elle se retrouve bloquée à un certain seuil et redescend.

Les effets indésirables du lithium sont une rare hypothyroïdie. Les insuffisances rénales sont devenues exceptionnelles chez l’adulte depuis les années 1970 car les doses recommandées ont été abaissées. Les études chez l’enfant n’ont pas retrouvé d’atteinte rénale. Le lithium reste délicat à manier car la différence entre la dose thérapeutique maximale et la dose toxique est étroite. Ainsi sa prescription nécessite des contrôles sanguins réguliers.

Les neuroleptiques atypiques peuvent aussi être utilisés dans l’épisode maniaque. Cependant, sur le long terme, ils semblent moins efficaces. Ils sont souvent mis en place au début du traitement car leur délai d’action est plus rapide. On peut donc prescrire chez un enfant violent ou qui a des idées noires, d’emblée lithium + risperidone ou valproate + risperidone. L’aripiprazole (nom commercial : Abilify) est un neuroleptique de plus en plus utilisé. Il a l’AMM dans l’épisode maniaque de l’adolescent de plus de 13 ans. L’inconvénient des neuroleptiques en plus de leur faible efficacité sur le long terme et leurs effets indésirables métaboliques (prise de poids, augmentation des lipides et de la glycémie).

Quelle que soit la molécule, il n’y a pas de posologie type dans les troubles bipolaires : l’objectif étant de rester à la posologie minimum efficace. De plus les améliorations peuvent se poursuivre pendant plusieurs mois. Si l’enfant ne présente plus de critères de gravité et s’il y a des améliorations, il vaut mieux rester à la même posologie.

Pour finir, même si un enfant n’a pas de diagnostic, s’il présente des angoisses sévères, des idées suicidaires, une agitation et une agressivité qui mettent sa scolarité en danger, si cet enfant et sa famille ne trouvent pas d’aide auprès des services normalement compétents, la prescription d’un neuroleptique comme l’halopéridol (2 gouttes pour 35 kg environ) ou le risperidone peuvent être très utiles (0,5 mg). Il est judicieux de débuter les posologies au minimum possible car les enfants bipolaires sont souvent très sensibles aux médicaments. Cela permettra à l’enfant de retrouver un peu de sérénité en attendant que les parents trouvent un médecin spécialiste qui puissent les aider.

Si l’amélioration est mitigée alors la prescription n’est pas adaptée.

Bien entendu, il n’est pas question de jouer aux apprentis sorciers, mais il y a suffisamment de données disponibles sur des sites sérieux et dans la littérature pour pouvoir proposer des traitements à des enfants qui en ont besoin, tout en respectant leur sécurité. La prescription d’un médicament est le fruit d’une réflexion sur la balance bénéfices/risques. Il n’y a aucune étude de qualité montrant le bénéfice de tels traitements chez l’enfant sur le long terme : je propose aux parents de poursuivre le traitement seulement s’ils constatent une nette amélioration. Si l’amélioration est mitigée alors la prescription n’est pas adaptée. Ainsi, des parents ont noté une amélioration du comportement de leur enfant, mais ils n’étaient pas sûr que cela était grâce au médicament.  A deux reprises, ils ont arrêté le valproate mais ils l’ont repris à chaque fois, car le changement du comportement de l’enfant était net. Une autre maman a vu sa fille devenir de nouveau ingérable alors qu’elle n’avait pas pris son traitement pendant 4 jours à cause d’une gastro-entérite.

Enfin, la base de la régulation de l’humeur étant le sommeil, la mélatonine aide a l’endormissement et diminue le nombre de réveils la nuit. La mélatonine (nom commercial : Slenyto) à l’AMM à partir de 2 ans dans les troubles du sommeil chez les enfants autistes. Il fonctionne aussi très bien chez les enfants bipolaires. Mon fils n’arrivait jamais à se coucher, j’ai dormi longtemps sur un matelas devant la porte de sa chambre. Parfois, je l’entendais encore se tortiller alors que je m’endormais. Avec la mélatonine, il s’endort plus rapidement et prend plaisir à aller se coucher. Au début du traitement il m’a dit en fermant les yeux et en se lovant sous sa couette : «  Ça fait du bien d’avoir sommeil », comme s’il n’avait jamais eu cette sensation.

Exemple de prises en charge simples et efficaces en médecine générale

Ce petit patient de 10 ans a des troubles du comportement depuis la moyenne section. Il a été vu une fois au CMPP et est suivi par une orthophoniste. Dans ses bilans, l’orthophoniste souligne un grand problème de gestion des émotions. Il a eu des bilans par une psychologue et une psychomotricienne. La neuropédiatre avait évoqué un TDAH mais sans beaucoup de conviction. J’ai parlé à la maman du trouble bipolaire et je lui ai parlé de la micropakine. Je lui ai expliqué qu’il était possible que d’autres médecins de son fils rejettent mon diagnostic et mon traitement. Je lui ai proposé d’aller sur le site de https://www.bicycle-asso.org afin qu’elle me dise si cela pouvait correspondre à son fils. La maman est revenue en consultation la semaine suivante en me disant qu’elle était sûre que son fils avait cette maladie. Ensuite, elle m’a demandé si ça existait aussi chez les adultes car elle-même se retrouvait dans la cyclothymie. Actuellement, la mère et le fils sont sous valproate depuis avril 2021 et en sont satisfaits.  L’enfant est rentré en CM1 en septembre 2021 et la maman m’a dit que c’est la première fois qu’elle n’est pas convoquée par l’enseignant dès les 2 premières semaines de classe. Il a débuté le basket et y va 2 fois par semaine depuis septembre. Il fait même les compétitions le week-end. Il gère avec courage ses frustrations. Je le sais car il fait du basket avec mon fils ! 
Cet enfant a une cyclothymie modérée et prend actuellement 350mg de micropakine pour 48 kg, ce qui est une toute petite posologie. 

Un jeune garçon de 11 ans vient avec sa mère qui prend du lamictal depuis 3 mois, pour des syndromes anxio-dépressifs récurrents. Elle se demande si son fils n’a pas la même maladie qu’elle. L’enfant a été suivi par le CMPEA quand il était au primaire. Le suivi a été arrêté sans que l’enfant aille beaucoup mieux. Il a des phases d’hyperactivité où il bouge beaucoup et dérange la classe. En primaire, il faisait des colères et jetait des objets y compris à l’école. Il a des angoisses : il dort sur le canapé car il a peur dans sa chambre, il n’aime pas prendre la voiture sur les autoroutes car cela va trop vite et il a peur d’avoir un accident. Il a peur de déclencher lui-même un accident. Il n’arrive pas à traverser une rue tout seul, car il entend les voitures qui accélèrent dès qu’il s’approche d’un passage piéton. J’ai prescrit du lamictal selon les posologies notées dans le vidal pour l’épilepsie chez l’enfant. Il fait 64 kg IMC=24, j’ai débuté à 15mg pendant 2 semaines, puis 25 mg et au bout de 3 semaines de traitement il a demandé à sa mère de rentrer seul du collège. La première fois, il n’a pas réussi : il a fait plein de détours pour éviter les endroits qui l’angoissaient mais n’a pas réussi à traverser une rue. Il a appelé sa mère qui est venu le chercher. Il a voulu essayer de nouveau le lendemain, et cette fois-ci, il a réussi. Devant l’amélioration à 25mg, j’ai décidé de rester à 25mg pendant encore un mois. J’ai fait une demande à la MDPH pour que la mère puisse bénéficier de l’allocation de l’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et qu’il puisse avoir des séances de psychothérapie afin qu’il apprenne à gérer ses angoisses. J’ai bien conscience que tout n’est pas réglé, mais l’amélioration est quand même évidente.

J’espère, grâce à cet article, participer à diffuser une meilleure connaissance de la bipolarité chez l’enfant tant au niveau du grand public que parmi mes confrères. Le but ultime est de participer à la meilleure prise en charge des jeunes patients et de diminuer la souffrance de nombreuses familles confrontées à cette pathologie encore trop souvent méconnue.

Outils pour aller plus loin :

Sources

www.ctah.eu

www.depression-bipolarite-pratique.com

HAS 2014 troubles bipolaires repérage et diagnostic en premier recours-note de cadrage 2014

Conseil de l’ordre des médecins : fiche_memo_prescription_et_delivrance_hors_amm

L’agressivité en clinique : de l’étiopathologie à la chimiothérapie. Sylvane Lyasse-Sanchez

cf. thèse : L’agressivité en clinique : de l ’étiopathologie à la chimiothérapie. 2002 – Sylvane Lyasse-Sanchez

Pharmaceuticals 2010, 3, 2986-3004; doi:10.3390/ph3092986pharmaceuticalsISSN 1424-8247www.mdpi.com/journal/pharmaceuticals 

Review The Use of Antiepileptic Drugs (AEDs) for the Treatment of Pediatric Aggression and Mood Disorders Kaizad R. Munshi 1,*, Tanya Oken 1, Danielle J. Guild 1, Harsh K. Trivedi 2, Betty C. Wang 3,Peter Ducharme 1 and Joseph Gonzalez-Heydrich 

Safety of 80 antidepressants, antipsychotics, anti-attention-deficit/ hyperactivity medications and mood stabilizers in children and adolescents with psychiatric disorders: a large scale systematic meta-review of 78 adverse effects  (World Psychiatry 2020;19:214–232) 

LITHIUM IN CHILDREN AND ADOLESCENTS.  2001 Psychopharmacology Notes 

Disorder: Efficacy, Tolerability, and Practical Considerations B. Grant1• J. A. Salpekar1  Springer International Publishing AG, part of Springer Nature 2018

The Use of Antiepileptic Drugs (AEDs) for the Treatment of Pediatric Aggression and Mood Disorders. Pharmaceuticals 2010, 3, 2986-3004; doi:10.3390/ph3092986

La revue Prescrire : 

    – 2006 Risperdal._Risperdaloro._Troubles_du_comportement_chez_les_enfants_avec_retard_mental_ou_autisme_ _pas_de_progres

    – 2008: methylphenidate_ _troubles_psychotiques_et_maniaques_etoffes_dans_les_RCP

    – 2010 troubles_bipolaires_ _lithium_d’abord

      2011 savoir_gerer_un_traitement_par_le_lithium

    -2013 frequence_des_effets_indesirables_du_lithium

    -avril 2017 : dissimulation_du_risque_de_suicide_ _acces_aux_donnees_brutes_d’un_essai_de_la_paroxetine

    – janvier 2021: acide valproïque, perturbateur endocrinien.