
Après le décès de la surveillante poignardée à mort par un collégien de 14 ans devant son établissement à Nogent (Haute-Marne), la presse a rapidement rapporté les propos du procureur qui indique que ce jeune ne présente « aucun signe évoquant un possible trouble mental ». Et d’ajouter qu’il « n’exprime pas de regrets ni aucune compassion pour la victime ». De plus son acte était prémédité car il avait consciemment emporté un couteau de cuisine avec l’intention de s’en prendre à une surveillante.
L’enquête nous apprend qu’il est même « référent harcèlement » et qu’il est issu d’une « famille unie et insérée professionnellement » qui ne présente « aucun antécédent judiciaire ».
Sa couleur de peau et sa religion ne peuvent même pas rassurer les plus populistes d’entre nous.
Rien ne semble alors expliquer un tel geste.
Le pays se fige et les parents parfaits sont en PLS. En France on a toujours besoin de trouver un coupable, ça rassure et ça évite de se remettre en question.
Si ce jeune n’est pas malade, est-ce notre société qui est capable d’engendrer de tels monstres ? Dans tous les cas, elle est responsable de ne pas savoir les accompagner.
Heureusement le gouvernement s’empresse de trouver de nouvelles hypothèses, la faute aux réseaux sociaux (qu’il fréquentait peu) et aux cuisines (enfin aux couteaux qui s’y trouvent).
Mais heureusement sur les réseaux sociaux, ceux là même qui prônent leur interdiction et s’insurgent contre la violence, déversent leur haine et ne tardent pas à trancher : les parents ne savent plus élever leurs enfants, à leur époque, une bonne paire de baffes et cela aurait été réglé. Eux, des coups ils en ont reçus et ça ne les a pas tués !
Parfois, souvent, surtout en matière de faits divers, quand la presse s’en mêle, elle s’emmêle dans les dénominations quand ce ne sont pas les personnes dont elle rapporte les propos, ajoutant à la confusion générale.
Mais alors qu’appelle-t-on un « trouble mental » ?
Pour le grand public, une personne qui souffre d’un trouble mental, c’est un « fou », un « déséquilibré », un « détraqué », un « cinglé », un « dingue », un « dégénéré » qui commet des actes graves, dangereux et répréhensibles. La langue française n’est pas avare de termes péjoratifs pour les désigner. Dans l’imaginaire collectif, c’est celui qui est capable de tuer. C’est aussi celui qui mérite d’être enfermé au mieux dans un centre psychiatrique fermé au pire dans une prison jusqu’à la fin de ses jours.
Aujourd’hui les professionnels de santé utilisent essentiellement 2 classifications psychiatriques pour les aider à la pose d’un diagnostic de trouble mental, le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistiques des Troubles Mentaux) qui est publié par l’Association Américaine de psychiatrie et la CIM-11 (Classification internationale des maladies) publiée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
Ces classifications décrivent les symptômes et les critères diagnostiques de chaque trouble mental.
D’après l’OMS un trouble mental se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions et du comportement d’un individu. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse ou de déficiences fonctionnelles dans des domaines importants.
Les troubles mentaux peuvent être d’origines très différentes, chroniques ou permanents, il sont souvent qualifié d’handicaps invisibles.
On peut différencier différentes grandes catégories de troubles mentaux. Ainsi on retrouve dans ces classifications :
- les troubles neurodéveloppementaux : TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), TSA (Trouble du Spectre Autistique), TDI (Trouble du Développement Intellectuel), …
- les troubles psychiques appelés aussi troubles psychiatriques : troubles bipolaires, schizophrénie, troubles anxieux, …
- les troubles de la personnalité : TPL (Trouble de la Personnalité Limite), TPA (Trouble de la Personnalité Antisociale),…
Il est à noter que les particularités comme le HPI (Haut Potentiel Intellectuel) ou THPI (Très Haut Potentiel Intellectuel), HPE (Haut Potentiel Emotionnel) ou l’hypersensibilté ne sont pas des troubles et ne figurent donc pas dans ces classifications.
Parfois les mots « maladie » et « handicap » viennent se greffer à ces différentes appellations ajoutant des nuances parfois subtiles mais revendiquées par les intéressés ou les familles concernées.
Un TND (Trouble du Neurodéveloppement) est le résultat d’un développement atypique du cerveau présent dès la naissance ou apparaissant dans la petite enfance. Ces troubles influencent la manière dont le cerveau traite l’information, perçoit le monde et interagit avec lui. Ils sont constitutifs de la neurologie de l’individu.
C’est pourquoi, par exemple, les personnes autistes et leurs familles rejetent massivement l’idée que les TSA soient une maladie et parfois même un trouble. En effet, elles considèrent qu’il s’agit plutôt d’une manière différente de penser qu’un réel trouble en soi. C’est pourquoi les critères diagnostiques dont la fameuse triade autistique ne sont pas considérés comme des symptômes mais plutôt comme des traits constants.
En France, depuis 1996, l’autisme a été officiellement reconnu comme un handicap car vivre avec un TSA dans un monde créé et fait pour les neurotypiques reste un défi au quotidien pour les personnes concernées. Même si là encore le terme fait débat dans la communauté.
A l’inverse certaines personnes comme récemment le journaliste Nicolas Demorand qui a rendu publique sa bipolarité clame qu’il est un « malade mental », terme jugé choc pour certains mais utilisé sciemment par l’intéressé pour briser le tabou qui entoure la maladie mentale.
Les troubles psychiques, dont la bipolarité fait partie, sont généralement liés à des déséquilibres biochimiques dans le cerveau souvent en interaction complexe avec des facteurs environnementaux, sociaux et psychologiques et des prédispositions génétiques. Ils peuvent survenir à n’importe quel moment de la vie et sont de nature fluctuante.
Parmi les personnes concernées par les maladies psychiques, beaucoup préfèrent de loin le mot « trouble psychique » à « maladie psychique » car le terme « maladie » insinuerait l’idée d’une guérison totale hors dans ces troubles on parle plus volontiers de « rétablissement », on apprend à bien vivre avec mais il ne se soignent pas définitivement. Dans le terme « trouble » il y a également l’idée d’un problème qui peut être « rééduqué » pour apprendre à bien vivre avec. La psychoéducation pourrait jouer ce rôle comme une paire de lunettes peut corriger le myopie et soulager la vie quotidienne.
Rappelons que contrairement aux idées reçues, les personnes atteintes de troubles psychiques sont bien plus souvent victimes de violences qu’auteurs d’actes criminels (10 fois plus en moyenne). Quand il y a dangerosité, elle est surtout tournée contre eux-mêmes. Les patients dangereux pour la société sont minoritaires et quand c’est le cas c’est le plus souvent induit par un traitement inadapté ou par la prise de substances qui se substituent à une absence de prise en charge ou à une prise en charge non adéquate.
De plus il est à noter qu’une personne en proie avec un trouble psychique est dans l’incapacité d’anticiper et donc de planifier et préméditer des actes répréhensibles.
Ainsi une personne capable de commettre de tels actes manque d’émotions, à l’inverse une personne bipolaire est assaillie par un trop plein d’émotions.
Les troubles de la personnalité sont à différencier des troubles psychiques. Les troubles de la personnalité correspondent à des modes de comportement inadapté aux normes et aux attentes sociétales. Ils désignent des schémas dysfonctionnels de pensées de perceptions, de réactions et de relations qui correspondent peu ou pas aux attentes de l’environnement socioculturel.
L’usage du mot « psychopathie », quant à lui, qui est pourtant le premier qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque des meurtriers sanguinaires y compris les tueurs en série a été abandonné dans les classifications psychiatriques internationales et ne correspond donc pas est tant que tel à un diagnostic clinique. La HAS (Haute Autorité de Santé) recommande aujourd’hui d’utiliser le terme « organisation de la personnalité à expression psychopathique » notamment pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’un trouble psychique mais d’un trouble de la personnalité.
Là où cela se complique c’est qu’un trouble n’exclut pas l’autre et les TND comme les troubles de la personnalité sont fréquemment associés à des comorbidités psychiatriques.
Certaines études suggèrent même que le risque de développer un trouble psychique est plus important en cas de trouble du neurodéveloppement du fait de la vulnérabilité neurobiologique partagée et de l’impact psychologique et du stress engendrés par les TND.
Aujourd’hui, on va encore plus loin et la recherche s’intéresse davantage aux troubles psychiques à début précoce. Un PNDS (Protocole National de Diagnostic et de Soins) pour la schizophrénie à début précoce a vu le jour en 2022. La schizophrénie y est décrite comme un TND.
Car même s’il existe un pic de diagnostic entre 15 et 25 ans – tout comme la bipolarité – la maladie se jouerait bien avant l’apparition des symptômes cliniques typiques de la maladie que l’on retrouve à l’âge adulte et débute le plus souvent plut tôt sous une forme atténuée.
Lors de la journée des DAR du 21 mai 2025, Etienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement a rappelé que la schizophrénie à début précoce tout comme la bipolarité à début précoce étaient aussi des TND.
Il n’y a pas plus perméables que les frontières diagnostiques en particulier en pédopsychiatrie. D’autant plus qu’il existe aujourd’hui en France une absence de consensus dans de nombreux troubles y compris ceux qui sont reconnus.
En effet, aujourd’hui, on déplore que plus que la santé mentale, c’est la sémantique qui semble être la grande cause nationale.
Ces confusions ne sont pas anodines elles orientent les regards, les attentes et les prises en charges parfois dans des directions inadaptées par rapport aux besoins des personnes concernées et de leurs familles.
Interdire la vente de couteaux, les réseaux sociaux ou mettre des portiques à l’entrée des écoles n’y changeront rien.
Pourtant le constat est édifiant et effrayant : 1 pédopsychiatre pour 100 000 enfants aujourd’hui en France dont 80% à plus de 60 ans. A titre de comparaison cela équivaut à un seul policier pour assurer la sécurité des JO de Paris !
Selon l’OMS, 20 à 25% des personnes dans le monde auront un trouble mental au cours de leur vie soit 1 personne sur 4. 75% des français déclarent connaitre un proche qui est touché. Nous sommes donc tous concernés !
Rappelons néanmoins que quelle que soit l’appellation, une maladie qu’elle soit physique ou mental ne définit jamais une personne.
Arrêtons de traiter les symptômes et attaquons nous à la cause : la santé mentale des jeunes ! En s’occupant de la santé mentale de nos enfants on préservera celle des adultes en devenir qu’ils sont mais aussi de toutes les personnes qui les entourent.